Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Chut ! père Blouin ; ne prononcez pas ce vilain mot de contrebande… Ça attire les douaniers… Ravivez plutôt votre mèche : nous allons causer, tout en nous rinçant un peu la « dalle du cou. »

Le père Blouin, qui avait un fort « faible » pour la dive bouteille, — ce qu’on lui pardonnera en tenant compte de sa vie solitaire, — ne se le fit pas dire deux fois.

En un tour de main, la chandelle fut mouchée et la table unique de la maison débarrassée des nombreux ustensiles qui l’encombraient.

Alors commença l’exécution du programme arrêté dans la tête de Thomas Noël.

Ce froid organisateur de guet-apens et de coups pendables devint aimable et loquace comme un Marseillais en goguette.

Une histoire n’attendait pas l’autre.

Et chacune d’elles enlevée avec cette verve gouailleuse que nous lui connaissons, le narrateur ne manquait pas d’ajouter, en conclusion :

— Avec tout ça, père Blouin, « on » ne prend rien… Le gosier nous raccornit… Quelle soif dans le mien, nom d’une baleine !

Et il versait au bonhomme de larges rasades, tout en gardant à dessein de l’eau dans son verre, à lui, où il ne laissait tomber qu’un mince filet de liqueur spiritueuse.

À ce jeu-là, le père Blouin ne devait pas tarder à perdre la boussole et… la tête.

Vers dix heures, il était gris…

Un peu plus tard, il était ivre.

Quand minuit sonna, il ronflait comme un cachalot.

Depuis longtemps, Thomas avait trouvé une occasion pour aller « tousser » à son matelot le signal de masquer le phare.

Or, cet ordre n’avait pas été aussitôt exécuté, qu’une vive lueur sur la pointe opposée de la baie annonçait à Jean Brest qu’on n’avait attendu que ce signal pour allumer le fanal trompeur qui devait attirer sur les récifs les malheureux navires surpris par la tourmente.

Et maintenant, qu’allait-il arriver ?

Quelle catastrophe devait-il surgir ?

Anxieux et pâle, les deux « naufrageurs », réunis près de la tour, plongeaient leurs regards vers le sombre cap en face d’eux, vers ce cap dont l’éperon de récifs guettait les vaisseaux que la tempête allait y jeter.