Page:Dick - Les pirates du golfe St-Laurent, 1906.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout en devisant avec la tendre nonchalance de nouveaux mariés, le joli couple suit du regard un canot d’écorce, pagayé par un homme et une femme, qui se dirige vers le côté opposé de la baie.

Les deux nocturnes canotiers ne sont autres que Louis Noël et sa femme « Mimie », qui s’en retournent chez eux, après avoir passé la veillée chez leurs parents du côté est.

Les palettes de leurs avirons, ruisselantes d’eau, scintillent à intervalles réguliers sous les rayons lunaires.

On entend vaguement la voix cristalline de Mimie alterner avec l’organe plus sonore de Louis, dans ce duo un peu suranné : « Dis-moi, Lucie… »

Puis, à mesure que le canot s’éloigne, les voix s’affaiblissent, le bruit des pagaies s’éteint, le silence se fait.

Seules, les grenouilles s’égosillent dans les ajoncs et la chute fait entendre sa monotone clameur.

Le jeune couple est maintenant silencieux.

Quelque chose comme une appréhension indéfinissable alourdit l’air que respirent ces adolescents, liés l’un à l’autre, depuis quelques jours à peine, par la chaîne dorée du mariage, et met dans leurs yeux des lueurs ophéliennes.

— Rentrons, veux-tu ?… dit enfin la jeune femme… Cette nuit est trop belle… Ce calme m’oppresse… J’ai presque envie de pleurer.

— Chère petite folle ! répond tendrement le mari… Toujours ces craintes chimériques qui hantent ta jolie tête !… Chasse-moi vite ces vilains papillons noirs qui voltigent dans ta pensée.

— Je le voudrais, Arthur, que je ne le pourrais pas… Le passé est encore trop près de nous, vois-tu… Ah ! je donnerais bien quelques années de ma vie pour oublier cet affreux cauchemar du 25 juin dernier, que ta miraculeuse arrivée a transformé en réalité céleste…Mais…

— Mais quoi ?… Voyons un peu… Dis toute ta pensée.

— Mais j’ai là, — et Suzanne toucha sa poitrine, — un poids qui me comprime le cœur, quand tu n’es pas à mes côtés.

Enfant, va ! affecte de dire d’un ton badin le mari, dont le front toutefois se charge d’ombre… Que peuvent maintenant contre nous