Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/161

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Si elles choisissaient pour cela le moment où elles seraient dans les endroits les plus fréquentés, comment vouliez-vous qu’on ne vînt point les délivrer ? Voilà ce que disait la pauvre Dolly, ce qu’elle essayait même de se persuader ; mais tous ses beaux raisonnements finissaient toujours par un déluge de larmes : elle pleurait, elle se lamentait, elle se tordait les mains en se demandant ce qu’on faisait, ce qu’on pensait, ce qu’on souffrait là-bas, à la Clef d’or ; et elle sanglotait à fendre le cœur.

Miss Haredale, dont les sentiments étaient toujours d’une nature moins turbulente que ceux de Dolly, mais plus profonds, éprouvait de cruelles alarmes ; elle était à peine remise d’un évanouissement qui lui avait encore laissé la figure toute pâle ; sa main, dans celle de sa compagne, était froide comme la glace. Néanmoins, elle lui rappelait qu’après Dieu tout dépendait de leur prudence ; que si elles se tenaient tranquilles, pour endormir la vigilance des misérables qui les tenaient entre leurs mains, elles auraient bien plus de chances de pouvoir obtenir du secours quand elles seraient arrivées en ville ; qu’à moins de supposer que la société tout entière fût bouleversée, on devait déjà s’être mis à leur recherche avec ardeur, et qu’elle était bien sûre que son oncle ne se donnerait pas de repos qu’il ne fût parvenu à les découvrir et à les délivrer. Mais en prononçant ces dernières paroles d’espérance, à l’idée malheureusement trop vraisemblable, après tout ce qu’elle venait de voir et de souffrir elle-même, qu’il avait pu succomber dans un massacre général des catholiques, elle redevint muette de frayeur ; et, abîmée dans le souvenir des horreurs dont elle venait d’être témoin, dans la crainte de celles qu’elle pouvait avoir à subir encore, elle se sentait incapable de rien penser ni de rien dire ; elle n’osait même laisser un libre cours à sa douleur : elle était roide, froide et blanche comme un marbre.

Ah ! que de fois, pendant ce long voyage, Dolly songea à son ancien amoureux, au pauvre Joe, si bon pour elle, et si peu digne de ses dédains ! Que de fois elle se rappela le soir où elle s’était précipitée dans ses bras pour échapper à l’homme qui, en ce moment même, plongeait son regard insolent dans les ténèbres où elle était assise dans son affliction, lançant d’odieuses œillades d’une admiration dé-