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Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/162

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goûtante ! Et quand elle pensait à Joe, qu’elle se représentait ce brave garçon, tout prêt, s’il était là, à venir hardiment se jeter au milieu de ces brigands, sans calculer leur nombre… son petit poing se fermait de colère, ses petits pieds trépignaient d’impatience, et l’orgueil qu’elle avait un moment ressenti d’avoir conquis un si grand cœur s’éteignait dans un ruisseau de larmes, et elle poussait des soupirs plus amers que jamais.

Cependant la nuit avançait, et on leur faisait prendre des chemins qui leur étaient tout à fait inconnus, dont la vue redoublait leur inquiétude, car elles cherchaient vainement à reconnaître sur la route les objets qui pouvaient y avoir frappé quelquefois leurs regards en passant. Et cette inquiétude n’était que trop fondée. Comment deux belles filles comme elles pouvaient-elles se voir emportées, Dieu sait où, par une bande de brigands qui les poursuivaient de leurs yeux effrontés, sans craindre tout ce qu’il y avait de pis ? Enfin, quand elles entrèrent dans Londres, par un faubourg qu’elles ne connaissaient pas le moins du monde, il était plus de minuit, et les rues étaient sombres et vides. Encore si ce n’eût été que cela ! mais la chaise s’étant arrêtée dans un endroit isolé, Hugh vint tout à coup ouvrir la portière, sauta dans la voiture, et s’assit entre elles deux.

Elles eurent beau crier au secours : il passa un bras autour du col de chacune d’elles, en jurant par tous les diables de les étouffer de ses baisers si elles n’étaient pas silencieuses comme la tombe.

« Je suis venu ici pour vous faire tenir tranquilles, ditil, et c’est comme ça que je m’y prendrai. Ainsi, ne vous tenez pas tranquilles, mes belles demoiselles, si cela vous fait plaisir ; criez tant que vous voudrez, j’en serai bien aise, je ne puis qu’y gagner. »

Elles avancèrent alors au grand trot, et probablement avec un cortége moins nombreux que tout à l’heure, quoique l’obscurité de la nuit, maintenant qu’ils avaient éteint leurs torches, ne leur permît pas de s’en assurer par leurs yeux. Elles se reculaient pour ne point le toucher, chacune dans son coin ; mais Dolly avait beau se reculer, elle n’en sentait pas moins sa taille enlacée dans le bras hideux qui la serrait. Elle ne criait plus, elle ne parlait plus ; la terreur et le