Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/255

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saient à jouir des beautés du jour naissant, dont il avait si souvent goûté la douceur avec un plaisir infini. Il pensa à ces matinées heureuses où il allait avec ses chiens, bondissant comme lui, au travers des plaines et des bois, et ce souvenir lui remplit les yeux de larmes. Il ne se reprochait pas, Dieu le bénisse ! d’avoir fait le moindre mal, et il n’avait pas changé de sentiment sur la justice de la cause où il s’était engagé, ou des hommes qui la défendaient : mais il était, en ce moment, plein de soucis, de regrets, de souvenirs effrayants ; il souhaitait, pour la première fois, que tel ou tel événement ne fût jamais arrivé, et qu’on eût épargné à bien des gens tant de chagrins et de souffrances. Il commença aussi à songer combien ils seraient heureux, son père, sa mère, Hugh et lui, s’ils s’en allaient ensemble demeurer dans quelque endroit solitaire, où il n’y eût aucun de ces troubles à craindre ; peut-être l’aveugle, qui parlait de l’or en connaisseur, et qui lui avait confié qu’il avait de grands secrets pour en gagner, pourrait-il leur apprendre à vivre sans ressentir l’aiguillon de la faim et du besoin. À ce propos, il regretta encore davantage de ne pas l’avoir vu la nuit dernière, et il méditait encore là-dessus, quand son père vint lui toucher l’épaule.

«  Ah ! cria Barnabé, tressaillant au sortir de sa rêverie. Ce n’est que vous !

— Qui donc vouliez-vous que ce fût ?

— Je croyais presque que c’était l’aveugle. Il faut, père, que j’aie avec lui un bout de conversation.

— Et moi aussi : car, si je ne le vois pas, je ne sais plus où fuir ni que faire, et j’aimerais mieux la mort que de perdre mon temps ici. Il faut que vous alliez tout de suite le voir et que vous me l’ameniez ici.

— Vraiment ? s’écria Barnabé charmé. À la bonne heure, mon père. C’est tout ce que je demandais.

— Mais c’est lui qu’il faut me ramener, et pas d’autre. Surtout, quand vous devriez l’attendre à sa porte pendant vingt-quatre heures, attendez toujours, et ne revenez pas sans lui.

— N’ayez pas peur, cria-t-il gaiement. Je vous l’amènerait je vous l’amènerai.

— Mettez bas ces babioles, dit le père en lui arrachant