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Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/256

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les bouts de ruban et les plumes qu’il portait à son chapeau, et jetez mon manteau par-dessus vos habits. Faites bien attention à votre démarche ; du reste, on est trop occupé d’autre chose dans les rues pour qu’on vous remarque. Quant à votre retour, ne vous en inquiétez pas ; il saura bien y pourvoir en toute sûreté.

— Je crois bien ! dit Barnabé, certainement qu’il y pourvoira. C’est ça un habile homme, n’est-ce pas, mon père, et bien capable de nous apprendre le moyen de devenir riches ? Oh ! je le connais bien, je le connais bien. »

Il fut bientôt habillé, et aussi bien déguisé que possible. Cette fois il avait le cœur plus léger en entreprenant ce second voyage, et en laissant Hugh, encore abruti par l’ivresse, étendu par terre sous le hangar, avec son père qui se promenait devant, de long en large.

L’assassin, en proie aux plus tristes pensées, le regarda partir, et se remit à marcher comme tout à l’heure, troublé par le moindre murmure de l’air dans les branches, et par l’ombre la plus légère que les nuages en passant jetaient sur les prés émaillés de marguerites. Il était impatient de voir son fils revenu sain et sauf, et cependant, quoique sa vie et sa sûreté en dépendissent, il n’était pas fâché de le voir parti. Le profond sentiment d’égoïsme que lui inspiraient ses crimes, toujours présents à ses yeux avec leurs conséquences actuelles ou futures, absorbait et faisait entièrement disparaître toute pensée de Barnabé, comme étant son fils. Bien plus, la présence de ce malheureux était pour lui un reproche pénible et cruel ; il retrouvait dans ses yeux égarés les terribles images de cette nuit criminelle. Son visage de l’autre monde, son esprit informe, représentaient à l’assassin une créature qui avait pris naissance dans le sang de sa victime. Il ne pouvait supporter son regard, sa voix, son toucher. Et pourtant il se voyait forcé, par sa condition désespérée, et son unique chance d’échapper au gibet, de l’avoir à ses côtés et de reconnaître qu’il ne pouvait sans lui songer à se soustraire à la mort.

Il se promena donc de long en large, sans repos, tout le jour, roulant ces pensées dans son esprit, et Hugh était encore étendu, sans le savoir, sous le hangar. À la fin, au moment où le soleil allait se coucher, Barnabé revint, ame-