Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/257

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nant l’aveugle et causant avec lui d’un air animé tout le long du chemin.

L’assassin s’avança à leur rencontre, et ordonnant à son fils d’aller parler à Hugh qui venait de se dresser sur ses pieds, il le remplaça près de l’aveugle, et le suivit à pas lents du côté du hangar.

« Pourquoi l’avoir envoyé, lui ? dit Stagg. Ne saviez-vous pas que c’était le moyen de le perdre, sitôt qu’on l’aurait reconnu ?

— Ne vouliez-vous pas que j’y allasse moi-même ? répliqua l’autre.

— Hem ! peut-être que non. J’étais devant la prison mardi soir ; mais, dans la foule, je vous ai manqué. On a fait hier soir de fameuse besogne…. oh ! mais de la jolie besogne !… une besogne profitable, ajouta-t-il en faisant sonner l’argent dans son gousset.

— Avez-vous….

— Vu votre bonne dame ?… Certainement.

— Eh bien ! n’avez-vous rien à me dire de plus ?

— Oh ! je vais vous dire tout, reprit l’aveugle en éclatant de rire. Pardon, mais j’aime à vous voir si impatient : c’est signe d’énergie.

— Consent-elle à dire le mot qui peut me sauver ?

— Non, répondit l’aveugle d’un ton décidé, en tournant vers lui son visage. Non ; voici ce que c’est : elle a été à deux doigts de la mort, depuis qu’elle a perdu son cher fils…. elle est restée privée de sentiment, enfin, je ne sais pas quoi. Je l’ai été chercher dans un hôpital, et me suis présenté (sauf votre permission) au chevet de son lit. Notre conversation n’a pas été longue ; elle était trop faible, et puis il y avait là tant de monde auprès de nous, que je n’étais pas à mon aise. Mais je lui ai dit tout ce dont j’étais convenu avec vous ; je lui ai fait toucher au doigt, et dans les termes les plus forts, la situation du jeune gentleman. Elle a voulu m’attendrir ; mais, comme je lui ai dit, c’était peine perdue. Alors elle s’est mise à pleurer et à gémir, bien entendu ; c’est toujours comme ça avec les femmes. Puis, ne voilà-t-il pas que tout d’un coup elle a retrouvé sa force et sa voix pour me dire qu’elle se mettait, elle et son fils, sous la garde de Dieu ; que c’était à lui qu’elle en voulait appeler contre