Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/289

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bonne bouffée, se dirigea vers la porte, se retourna quand il y fut, se frotta l’œil gauche avec le dos de son index, et dit d’une voix défaillante : « Mon fils a eu le bras…. coupé…. à la défense de la…. Savaigne…. en Amérique…. dans le pays qui est en guerre. » Là-dessus, il se retira pour ne plus revenir de toute la nuit.

Au reste, sous un prétexte ou sous un autre, chacun en fit autant à son tour, excepté Dolly qu’on laissa là toute seule, assise sur sa chaise. Elle était bien soulagée de se trouver seule, pour pleurer tout son content, quand elle entendit au bout du corridor la voix de Joe qui souhaitait bonne nuit à quelqu’un. Elle l’entendit encore marcher dans le corridor et passer devant la porte ; seulement sa marche trahissait quelque hésitation. Il revint sur ses pas…. comme le cœur de Dolly se mit à battre ! … et regarda dans la chambre.

« Bonne nuit ! … » Il n’ajouta pas : « Dolly ; » mais c’est égal, elle était bien aise qu’il n’eût pas dit non plus : « Mademoiselle Varden.

— Bonne nuit ! sanglota Dolly.

— Je suis bien fâché de vous voir encore si affectée de choses qui sont maintenant passées pour toujours, dit Joe avec bonté. Ne pleurez donc pas. Je n’ai pas le courage de vous voir si triste. Voyons ! n’y pensez plus. Vous voilà maintenant sauvée et heureuse. »

Dolly n’en pleurait que de plus belle.

« Vous avez dû bien souffrir pendant ce peu de jours…. et pourtant je ne vous trouve point du tout changée, si ce n’est peut-être en bien. On m’avait dit que vous étiez changée ; mais moi, je ne vois pas ça. Vous étiez… vous étiez déjà très-jolie, mais vous voilà plus jolie que jamais. C’est vrai comme je vous le dis. Vous ne pouvez pas m’en vouloir de vous faire ce compliment ; car enfin, vous le savez bien vous-même, et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on vous l’a dit, bien sûr. »

La vérité est que Dolly le savait bien, et que ce n’était pas la première fois qu’elle se l’entendait dire ; loin de là. Mais il y avait des années qu’elle avait reconnu que le carrossier n’était qu’un âne bâté ; et, soit qu’elle eût peur de faire la même découverte chez les autres, ou que, à force d’entendre, elle se fût blasée en général sur les compliments, il est sûr et certain que, tout en pleurant bien fort, elle se sentait