Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/309

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du courage aux yeux de quelqu’un qui ne connaissait pas ses goûts et ses préférences artistiques ; de plus, comme il se gardait bien de laisser percer ses espérances secrètes, et qu’il avait l’air au contraire de se mettre sur le même pied que Hugh, ce vaurien fut plus sensible à ces considérations pour se laisser attendrir, qu’il ne l’aurait été à tous les plus beaux raisonnements ou à la soumission la plus abjecte. Il reposa donc ses bras sur ses genoux, et, se baissant en avant, il regarda Dennis par-dessous les mèches de ses cheveux, avec une espèce de sourire sur les lèvres.

« Le fait est, camarade, dit le bourreau d’un ton de plus intime confiance, que vous vous étiez fourré là en assez mauvaise compagnie. Vous étiez avec un homme qu’on poursuivait bien plus que vous : c’était lui que je cherchais. Au reste, vous voyez ce que j’ai gagné à tout cela. Me voici ici comme vous : nous sommes dans la même barque.

— Tenez, gredin, lui dit Hugh en fronçant les sourcils, je ne suis pas assez dupe pour ne pas savoir que vous comptiez y gagner quelque chose, sans quoi vous ne l’auriez pas fait ; mais c’est une affaire finie. Vous voilà ici. Il ne sera bientôt pas plus question de vous que de moi ; et je ne tiens pas plus à vivre qu’à mourir, à mourir qu’à vivre : ce m’est tout un. Alors, pourquoi me donnerais-je la peine de me venger de vous ? Boire, manger, dormir, tout le temps que j’ai à rester ici, je ne me soucie pas d’autre chose. S’il pouvait seulement pénétrer un peu plus de soleil dans ce maudit trou, pour qu’on pût s’y réchauffer, je voudrais y rester couché tout le long du jour, sans me donner la peine de me lever ou de m’asseoir une fois : voilà comme je me soucie de moi. Pourquoi donc me soucier de vous ? »

Il finit cette harangue par un grognement qui ressemblait assez au bâillement d’une bête féroce, se remit tout de son long sur le banc, et ferma de nouveau les yeux.

Après l’avoir regardé quelques moments en silence, Dennis, tout heureux de l’avoir trouvé si bénin, approcha de sa couche grossière la chaise sur laquelle il s’assit près de lui ; pourtant il prit la précaution de ne pas se mettre à portée de son bras nerveux.

« Bien dit, camarade, on ne peut pas mieux dire, se risqua-t-il à répondre. Nous allons boire et manger tant que nous