Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/323

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Gabriel ne dit plus rien ; il rendit seulement à sir John un signe d’adieu, et le quitta. Comme il sortait de la chambre, la figure de sir John changea, et le sourire stéréotypé fit place à une expression égarée et inquiète, comme celle d’un acteur ennuyé, épuisé par le rôle difficile qu’il vient de jouer. Il se leva de son lit avec un soupir pénible, et s’enveloppa dans sa robe de chambre.

« Ainsi elle a tenu parole, dit-il, elle a fidèlement exécuté sa menace. Je voudrais pour beaucoup n’avoir jamais vu cette sombre figure…. Il était facile d’y lire du premier coup toutes ces conséquences. C’est une affaire qui ferait un bruit terrible, si elle reposait sur un témoignage plus honnête ; mais celui-là, avec tous les anneaux rompus qui empêchent de renouer la chaîne, je peux impunément le braver… C’est extrêmement désagréable d’être le père d’une créature si grossière. Pourtant je lui avais donné un bon avis, je lui avais bien dit qu’il se ferait pendre. Qu’aurais-je pu faire de plus si j’avais su le secret de notre parenté ? car enfin, combien y a-t-il de pères qui n’en font pas même autant pour leurs bâtards ! … Vous pouvez faire entrer le coiffeur, Peak. »

Le coiffeur entra, et, dans sir John Chester, dont la conscience accommodante fut bientôt tranquillisée par les nombreux exemples que lui fournissait sa mémoire à l’appui de sa dernière réflexion, il retrouva le même gentleman séduisant, élégant, imperturbable, qu’il avait vu la veille, l’avant-veille et toujours.


CHAPITRE XXXIV.

En s’en allant tout doucement de chez sir John Chester, le serrurier ralentit encore son pas sous les arbres qui ombrageaient l’entrée, avec une sorte d’espérance qu’on allait peut-être le rappeler. Il était revenu déjà sur ses pas, et s’arrêtait encore au détour de la rue, quand l’horloge sonna douze fois. Douze heures, tintement solennel ! non pas seulement en