Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/361

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« Vous ne l’avez jamais vu de son vivant ? demanda le ministre à Édouard.

— Pardon, souvent, mais il y a bien des années, et je ne me doutais pas que ce fût mon frère.

— Jamais depuis ?

— Jamais. J’ai voulu le voir hier, mais il s’y est refusé obstinément, malgré les instances répétées que j’ai fait faire auprès de lui.

— Et il a refusé de vous voir ? Il fallait que ce fût un cœur endurci et dénaturé.

— Croyez-vous ?

— Vous avez l’air de n’être pas de mon avis ?

— En effet. Nous entendons tous les jours le monde s’étonner de voir ce qu’il appelle des monstres d’ingratitude. Ne dirait-on pas qu’il s’attendait plutôt à voir partout des monstres d’affection, comme si c’était la chose la plus naturelle ? »

Cependant ils étaient arrivés à la porte de la grille. Là ils se souhaitèrent bonne nuit, et s’en retournèrent chacun chez soi.


CHAPITRE XXXVIII.

Cette après-midi, après avoir fait un somme pour se reposer de ses fatigues ; après s’être rasé, habillé, rafraîchi des pieds à la tête ; après avoir dîné et s’être régalé d’une pipe, d’un petit extra de Toby, d’une sieste dans le grand fauteuil, et d’une causerie familière avec Mme Varden sur tout ce qui venait de se passer, sur tout ce qui se passait, sur tout ce qui allait se passer, dans la sphère de leurs intérêts domestiques, le serrurier s’assit à la table de thé dans le petit parloir de derrière, l’homme le plus vermeil, le plus à son aise, le plus gai, le plus cordial, le plus satisfait de tous les bons vieux gaillards d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse.

Il était là assis, avec son œil rayonnant fixé sur Mme Varden ; sa figure respirait la joie, et son vaste gilet semblait