Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’intérieur. Quelques années après, c’était un homme aigri, méchant, furieux, sans un mot ou un regard de bonté pour personne, lui qui avait été si bon, Fitz-Jarndyce ! Il fit banqueroute, alla en prison pour dettes et y mourut. Alors mon frère fut attiré à son tour… vite… vite… vers l’ivrognerie, les haillons, puis la mort. Après cela, ma sœur, chut ! ne demandez pas vers quoi. J’étais dans la misère et bien malade. On me répéta ce que j’avais souvent entendu dire, que tous ces maux étaient l’œuvre de la chancellerie. Quand je fus mieux, j’allai pour voir le monstre… Et je fus attirée, à mon tour, vers les audiences de la Cour. »

Elle avait dit ces paroles à voix basse, d’un ton bref et contraint, comme si elle était encore sous l’impression des malheurs qui avaient frappé sa jeunesse. Mais lorsqu’elle eut achevé son récit, elle reprit graduellement l’air d’aimable importance qui lui était ordinaire.

«  Vous ne me croyez pas, Fitz-Jarndyce, me dit-elle en souriant. Bien, bien ! un jour viendra où vous n’en douterez plus. Je divague un peu, mais je vous le répète, je m’en suis convaincue. J’ai vu bien des figures nouvelles, qui ne s’en défiaient nullement, subir cette influence de la masse et du grand sceau. Elles venaient comme mon père était venu, mon frère, ma sœur, moi-même. J’entendais Kenge et les autres leur dire : « Vous n’êtes jamais venus à la Cour ; il faut qu’on vous présente à miss Flite. » Trrès-bien ! trrès-fière assurément d’un tel honneur. Et l’on se mettait à rire ; mais je savais qu’on ne rirait pas toujours, Fitz-Jarndyce. Je voyais avant eux le moment où le charme commençait à agir. Je connais les signes, ma chère. Je les ai vus poindre chez Gridley, et je les ai vus finir. Je les ai découverts, mon amour, poursuivit-elle en baissant la voix, chez notre ami, le pupille de la Cour dans Jarndyce. Qu’on le retienne, ou il sera attiré comme les autres. »

Elle me regarda sans rien dire pendant quelques instants ; puis, comme si elle avait craint de m’avoir effrayée, ou peut-être avait-elle perdu le fil de ses idées, elle reprit d’un air gracieux, en humant son vin :

«  Oui, ma chère, comme je vous le disais tout à l’heure, j’attends un jugement qui sera bientôt rendu. Alors, je donnerai la liberté à mes oiseaux, et de beaux domaines à ceux que j’aime. Oui, Fitz-Jarndyce. »

J’étais vivement émue de l’allusion qu’elle avait faite à Richard et du sens qu’elle donnait à ses paroles, dont elle offrait par elle-même une preuve si effrayante. Heureusement pour elle, la