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ces pages comprendront que, si elles contiennent beaucoup de détails sur moi-même, c’est que vraiment c’était indispensable et qu’il était impossible que cela ne s’y trouvât pas.

Nous étions presque toujours ensemble, Éva et moi, occupées à lire, à travailler, à faire de la musique, et notre temps était si bien employé que les journées d’hiver voltigeaient autour de nous comme des oiseaux à l’aile brillante.

Richard nous donnait toutes ses soirées, la plupart de ses après-midi, et se plaisait beaucoup dans notre société, bien qu’il fût l’un des êtres les plus remuants qu’on pût trouver au monde.

Il aimait beaucoup Éva ; mais beaucoup, beaucoup. J’aurais pu le dire plus tôt, car je devinai tout de suite combien ils s’adoraient. Non pas que je le fisse voir, au contraire ; j’étais si réservée à cet égard, et j’avais si bien l’air de ne me douter de rien, que je me demandais souvent, pendant que je travaillais assise à côté d’eux, si je ne devenais pas profondément dissimulée.

Et pourtant, chaque jour, la dissimulation devenait plus difficile. Leur réserve, du moins en paroles, égalait bien la mienne ; mais l’innocente façon avec laquelle ils s’attachaient à moi de plus en plus, à mesure qu’ils s’aimaient davantage, avait tant de charme, que j’avais bien de la peine à ne pas montrer l’intérêt que je prenais à leur amour.

« Notre chère amie est si bonne, disait Richard en venant me trouver dès le matin dans les allées du parterre, c’est une si admirable petite femme ! et, avant de galoper par monts et par vaux comme un voleur de grands chemins, cela me fait tant de bien de me promener gravement avec elle, que me voilà encore ici, comme j’y étais hier.

« Vous savez, dame Durden, me disait Éva lorsque, remontées dans notre chambre, elle posait sa tête sur mon épaule, reflétant dans ses yeux la flamme de notre foyer, vous savez bien que je n’ai pas besoin de causer ; mais de rester là auprès de vous, à rêver en compagnie de votre cher visage, écoutant souffler le vent, et songeant à ceux qui sont maintenant sur mer. »

C’est que Richard parlait d’être marin ; nous en avions dit quelques mots, et il était question de satisfaire le penchant que, dans son enfance, il montrait pour les voyages. M. Jarndyce avait écrit à l’un des membres de la famille, au baron sir Leicester Dedlock, pour qu’il s’intéressât en faveur de Richard, et sir Leicester avait répondu gracieusement : « Qu’il serait heu-