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BLEAK-HOUSE

— Devant le grand chancelier ? répétai-je tout interdite.

— Simple formalité, répondit-il. M. Kenge est maintenant à la cour ; il vous présente ses compliments et vous invite à vous rafraîchir en l’attendant. »

Sur une petite table se trouvaient un flacon de vin et des biscuits. Le jeune homme me présenta le journal, pensant que je serais bien aise de le parcourir, attisa le feu et s’en alla.

Tout cela me paraissait fort étrange ; mais ce qui m’étonnait le plus, c’était de voir la nuit en plein jour, et les chandelles répandre une lumière si blafarde, que je ne distinguais pas même les mots que j’essayais de lire. Je mis le journal de côté, je regardai dans la petite glace si mon chapeau était droit, et je jetai les yeux, autour de cette chambre, sur les tables poudreuses aux tapis éraillés, les piles de papiers, les rayons couverts de livres de mauvaise mine, qui n’avaient pas l’air de promettre aux lecteurs beaucoup d’intérêt. Puis je détournai les yeux et me mis à réfléchir, tandis que le feu brûlait toujours et que les chandelles pétillaient et coulaient sans que je pusse y remédier, ne trouvant pas de mouchettes dans la pièce. Deux heures passèrent, au bout desquelles je vis entrer M. Kenge.

Il n’était pas changé, mais il fut très-surpris de voir, au contraire, combien j’avais grandi, et parut enchanté.

« Comme vous devez être la compagne de la jeune lady qui est maintenant dans le cabinet particulier du grand chancelier, me dit-il, nous avons pensé, miss Summerson, que vous deviez être présentée en même temps qu’elle : vous ne serez pas intimidée, je l’espère, par le lord chancelier ?

— Non, monsieur, » répondis-je, ne voyant pas à quel propos je pourrais être effrayée.

M. Kenge m’offrit son bras ; nous tournâmes le coin, suivîmes une colonnade, franchîmes une petite porte et, après avoir traversé un passage, nous entrâmes dans une pièce confortable, où une jeune fille et un jeune homme se tenaient debout, appuyés sur un écran placé devant la cheminée et conversant tous les deux.

Quand nous entrâmes ils levèrent la tête. Oh ! quel charmant visage avait cette jeune lady ! quelle chevelure opulente, blonde et à reflets d’or ! quels beaux yeux bleus, si profonds et si doux, et quelle figure ouverte, candide et souriante !

« Miss Éva, je vous présente miss Summerson, » dit M. Kenge. Elle vint à moi, me tendit la main, et, se ravisant aussitôt, m’embrassa cordialement ; bref, ses manières étaient si engageantes, qu’au bout de quelques minutes nous étions assises