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II

Second quart.


La lettre que Toby avait reçue de l’alderman Cute était adressée à un grand personnage dans le grand quartier de la ville, le plus grand quartier de la ville, puisqu’il est communément appelé « le monde, » par ceux qui l’habitent.

Et de fait, cette lettre aussi semblait à Toby plus lourde qu’aucune autre qu’il eût jamais portée ; non parce que l’alderman l’avait cachetée d’une large cotte d’armes avec une profusion de cire sans fin ; mais à cause du nom important de l’homme de poids dont elle portait l’adresse, et de l’énorme quantité d’or et d’argent dont ce nom seul donnait l’idée.

« Quelle différence entre eux et nous ! pensa Toby dans toute la simplicité et la bonne foi de son âme, en regardant l’adresse. Vous n’avez qu’à diviser le nombre des tortues vivantes d’après les tables de mortalité, par le nombre des gens comme il faut en état de les acheter ; je parie que chacun d’eux n’en peut prendre que sa part ! Quant à arracher des tripes de la bouche d’un autre, fi donc ! »

Par suite de l’hommage involontaire dû à un personnage aussi éminent, Toby introduisit un coin de son tablier entre la lettre et ses doigts.

« Ses enfants, continua-t-il (et un nuage humide passa sur ses yeux) ; ses filles… de beaux messieurs peuvent leur gagner le cœur et les épouser ; elles peuvent devenir d’heureuses femmes, d’heureuses mères ; elles peuvent être jolies comme ma bien-aimée M…e… »

Il fut impossible au pauvre père d’achever ce nom. La dernière lettre s’enfla dans son gosier jusqu’à prendre les dimensions de l’alphabet tout entier.

« N’importe, pensa Trotty, je sais ce que je veux dire ; c’est tout ce qu’il me faut. »

Et ranimé par cette réflexion consolante, il continua de trotter.

Il gelait dur, ce jour-là ; l’air était sain, clair, petillant. Le soleil d’hiver était trop faible pour donner de la chaleur ; mais il n’en regardait pas moins radieux, du haut du ciel, la glace qu’il n’avait plus la force de fondre, et s’y montrait encore rayonnant dans sa gloire. En d’autres temps, Toby aurait