Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/128

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reuse au milieu de l’atmosphère de la nuit. Il vit aussi que les cloches allaient bientôt sonner, et c’était l’heure où leurs chants harmonieux parlaient à son imagination comme des voix dans les nuages ; mais il n’en fit que plus de diligence pour aller rendre la lettre à l’alderman, et s’éloigner avant que le carillon commençât, car il craignait de leur entendre encore bredouiller : « Amis et pères, amis et pères, » avec le refrain qu’elles avaient sonné au moment de son départ.

Toby s’acquitta donc de sa commission le plus promptement possible, et reprit son trot pour rentrer chez lui. Soit que ce fût la faute de cette allure, qui était bien, sans contredit, la moins avantageuse dans la rue, soit que ce fût celle de son chapeau rabattu, qui ne contribuait pas à la rendre plus sûre, il trotta en moins de rien contre quelqu’un dont le choc le renvoya pirouettant sur ses jambes, au beau milieu de la chaussée.

« Je vous demande pardon, mille fois pardon, dit Trotty soulevant son chapeau avec une confusion extrême, la tête prise entre la forme et la doublure déchirée, comme dans une espèce de ballon. J’espère que je ne vous ai point fait de mal ! ».

Quant à faire mal à qui que ce fût, Toby était trop loin de ressembler à un Samson, il se serait bien plutôt fait mal à lui-même, car il venait de rebondir sur la chaussée, comme un volant sur la raquette. Cependant, telle était la bonne opinion qu’il avait de sa force, qu’il éprouvait une véritable inquiétude pour la personne qu’il avait heurtée ; aussi répéta-t-il :

« J’espère que je ne vous ai point fait de mal ! »

L’homme contre lequel il était allé donner de la tête, espèce de paysan au teint bruni par le soleil, aux membres nerveux. aux cheveux grisonnants et à la barbe inculte, le regarda fixement pendant l’espace d’une seconde, comme s’il le soupçonnait de vouloir faire une mauvaise plaisanterie. Mais bientôt, convaincu de sa bonne foi :

« Non, mon ami, lui répondit-il, vous ne m’avez point fait de mal.

— Ni à l’enfant, j’espère ? ajouta Trotty.

— Ni à l’enfant, repartit l’homme. Je vous remercie bien. »

En disant cela, il laissa tomber son regard sur une petite fille qu’il portait endormie dans ses bras, et lui couvrant le visage d’un bout de la méchante cravate qu’il avait autour du cou, il poursuivit lentement son chemin.

Le ton avec lequel il venait de lui dire : « Je vous remercie bien, » était allé au cœur du bon Trotty. Cet homme était si fatigué, il avait les pieds si gonflés par la marche, il était telle-