Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/97

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du bruit de la ville, quoique bien au-dessous des nuages qui le couvrent de leur ombre passagère en traversant le ciel, c’est là qu’est le bon endroit pour avoir peur la nuit. Or, c’est dans le clocher d’une vieille église qu’habitaient les cloches dont je vais raconter l’histoire.

Dame ! c’étaient de vieilles cloches. Il y avait des siècles que ces cloches avaient été baptisées par des évêques, un si grand nombre de siècles que leur extrait de baptême était perdu depuis longtemps, bien longtemps ; on ne se souvenait plus même de l’époque, et personne ne connaissait leurs noms. Elles avaient en leurs parrains et leurs marraines, ces cloches (pour ma part, soit dit en passant, si je devais être parrain, j’aimerais mieux encourir la responsabilité de tenir une cloche sur les fonts qu’un petit garçon), et, sans aucun doute, elles avaient eu aussi leurs gobelets d’argent. Mais le temps avait moissonné leurs parrains, et Henri VIII avait fait fondre les gobelets de leur baptême, en sorte qu’elles restaient maintenant suspendues dans la tour de l’église, sans nom et sans gobelets.

Oui, mais non pas sans voix, bien loin de là. Elles avaient des voix claires, fortes, puissantes et sonores, ces cloches, et qui pouvaient être entendues à de lointaines distances, portées sur l’aile des vents. De plus, leurs accents étaient trop énergiques pour avoir rien à redouter des caprices du vent. Bien au contraire, quand il lui prenait une foucade, elles acceptaient bravement bataille et finissaient toujours par aller frapper royalement de leurs notes joyeuses les oreilles attentives. Elles tenaient à porter leurs chants, pendant les nuits orageuses, à quelque pauvre mère veillant au chevet de son enfant malade, ou à quelque femme solitaire dont le mari était en mer, si bien qu’elles avaient plus d’une fois battu « à plates coutures, » une rafale du nord-ouest… oui, « à plates coutures, » comme disait Toby Veck ; car, bien qu’on l’appelât généralement Trotty Veck, son nom était Toby, et il n’est permis à personne de le changer en un autre (excepté en celui de Tobias), sans un acte spécial du parlement, puisqu’il avait été aussi légalement baptisé dans son temps que les cloches dans le leur, quoique avec moins de solennité toutefois et moins de réjouissances publiques.

Quant à moi, je n’irai pas contredire là-dessus l’opinion de Toby Veck ; car il avait assez d’occasions de s’en former une pour que je la croie juste et vraie. Donc, tout ce que disait Toby Veck, je le dis : il me trouvera toujours à ses côtés, quoi-