Aller au contenu

Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que ce soit une rude besogne de rester debout avec lui tout le long du jour en dehors de la porte de l’église. Le fait est qu’il était commissionnaire, notre ami Toby Veck, et c’était là son poste pour attendre qu’on l’envoyât en course.

Un joli poste pour attendre, en hiver, avec la joue glacée, la peau gercée, le nez violacé, l’œil éraillé, les pieds gelés, les dents brisées à force de claquer ! Le pauvre Toby n’était pas à son aise.

Le veut, surtout le vent d’est, se précipitait avec rage, en rasant l’angle de la vieille église, comme s’il s’était tout exprès déchaîné des extrémités de la terre pour venir souffleter Toby. Souvent il semblait fondre sur lui, au moment où il s’y attendait le moins : tournant avec une rapidité furieuse le coin de la place, après avoir dépassé l’infortuné, il faisait demi-tour à l’improviste, comme s’il eût crié dans sa joie de le retrouver : « Ah ! le voici ! je le tiens ! »

Vainement alors Toby relevait sur sa tête son petit tablier blanc, à la façon de ces enfants mal élevés qui se couvrent les yeux des pans de leurs jaquettes ; en vain armé de sa méchante petite canne, il essayait de soutenir quelque temps une lutte trop inégale, bientôt ses jambes mal assurées étaient prises d’un tremblement affreux. Il se tournait de biais, il se penchait, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; mais, il avait beau faire, il était tellement tiraillé, secoué, bousculé, soulevé de terre, qu’il fallait presque un miracle très-positif pour qu’il n’eût pas été cent fois emporté dans les airs, comme ces colonies de grenouilles, de limaces ou autres animalcules portatifs, au dire des naturalistes, pour retomber ensuite en pluie de commissionnaires, au grand étonnement des naturels, sur quelque coin sauvage du globe où l’espèce des commissionnaires n’est pas encore connue.

Mais un jour de vent, malgré tout ce que Toby avait à souffrir de ses rigueurs, était après tout pour lui, une sorte de jour de fête. C’est un fait. Les jours de vent, le temps ne lui semblait pas si long à attendre les pièces de dix sous que les autres jours ; car, la lutte forcée qu’il se voyait alors obligé de soutenir contre l’élément fougueux tenait son attention éveillée et lui redonnait du cœur quand il sentait venir la faim ou le découragement. Une forte gelée, un temps de neige, étaient aussi pour lui une émotion qui rompait la monotonie de l’attente ; cela lui faisait du bien, je ne sais pourquoi ni comment : il aurait en lui-même bien de la peine à le dire, le pauvre Toby ! Avec tout cela les jours de vent, de gelée, de neige et peut-être aussi