Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/460

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ses traits portaient des traces de l’ardeur passionnée qui lui était habituelle, lorsqu’il se jetait à corps perdu dans quelque nouvelle fantaisie. J’eus un moment l’idée de lui reprocher l’énergie désespérée avec laquelle il poursuivait l’objet qu’il avait en vue, par exemple cette manie de lutter avec la mauvaise mer, et de braver les orages ; mais le premier sujet de notre conversation me revint à l’esprit, et je lui dis :

« Voyons ! Steerforth, si votre esprit veut bien se maîtriser assez pour m’écouter un moment, je vous dirai… — L’esprit qui me possède est un puissant esprit et il fera que vous voudrez, » répliqua-t-il en quittant la table pour se rasseoir au coin du feu.

— Eh bien, je vais vous dire, Steerforth. J’ai envie d’aller voir ma vieille bonne. Non que je puisse lui être utile, ou lui rendre un véritable service, mais elle m’aime tant que ma visite lui fera autant de plaisir que si je pouvais lui être bon à quelque chose. Elle en sera si heureuse que ce sera une consolation et un secours pour elle. Ce n’est pas un grand effort à faire pour une amie aussi fidèle. N’iriez-vous pas y passer près d’elle une journée si vous étiez à ma place ? »

II avait l’air pensif, et il réfléchit un moment avant de me répondre à voix basse :

— Mais, oui, allez-y ; ça ne peut pas faire de mal.

— Vous en arrivez, dis-je, et il est inutile, je pense, de vous demander de venir avec moi.

— Parfaitement inutile, répliqua-t-il. Je vais coucher à Highgate ce soir. Je n’ai pas vu ma mère depuis longtemps, et cela me pèse sur la conscience, car c’est quelque chose que d’être aimé comme elle aime son enfant prodigue. Bah ! quelle folie !

— Vous comptez partir demain je pense, dit-il, en appuyant ses mains sur mes épaules, et en me tenant à distance.

— Oui, je crois.

— Eh bien, attendez seulement jusqu’à après-demain. Je voulais vous prier de passer quelques jours avec nous ; j’étais venu tout exprès pour vous inviter, et voilà que vous vous envolez pour Yarmouth.

— Je vous conseille de parler des gens qui s’envolent, Steerforth, quand vous partez toujours comme un fou pour quelque expédition inconnue. »

II me regarda un moment sans me parler, puis reprit, en me tenant toujours de même et en me secouant par les épaules.