Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/197

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dont ses amis eux-mêmes n’ont pas été à l’abri. Plus nous vivrons loin du monde, et plus ce devoir me sera facile. Et quand viendra le jour (que le Seigneur ne tarde pas trop, dans sa grande miséricorde !), où ma mort la délivrera de toute contrainte, je fermerai mes yeux après avoir encore contemplé son cher visage, avec une confiance et un amour sans bornes, et je la laisserai, sans tristesse alors, libre de vivre plus heureuse et plus satisfaite ! »

Mes larmes m’empêchaient de le voir ; tant de honte, de simplicité et de force m’avaient ému jusqu’au fond du cœur. Il se dirigeait vers la porte, quand il ajouta :

« Messieurs, je vous ai montré tout mon cœur. Je suis sûr que vous le respecterez. Ce que nous avons dit ce soir ne doit jamais se répéter. Wickfield, mon vieil ami, donnes-moi le bras pour remonter. »

M. Wickfield s’empressa d’accourir vers lui. Ils sortirent lentement sans échanger une seule parole, Uriah les suivait des yeux.

« Eh bien ! maître Copperfield ! dit-il en se tournant vers moi d’un air bénin. La chose n’a pas tourné tout à fait comme on aurait pu s’y attendre, car ce vieux savant, quel excellent homme ! il est aveugle comme une chauve-souris mais, c’est égal, voilà une famille à laquelle j’ai fait tourner les talons. »

Je n’avais besoin que d’entendre le son de sa voix pour entrer dans un tel accès de rage que je n’en ai jamais eu de pareil ni avant, ni après.

« Misérable lui dis-je, pourquoi prétendez-vous me mêler à vos perfides intrigues ? Comment avez-vous osé, tout à l’heure, en appeler à mon témoignage, vil menteur, comme si nous avions discuté ensemble la question ? »

Nous étions en face l’un de l’autre. Je lisais clairement sur son visage son secret triomphe : je ne savais que trop qu’il m’avait forcé à l’entendre uniquement pour me désespérer, et qu’il m’avait exprès attiré dans un piège. C’en était trop : sa joue flasque était à ma portée ; je lui donnai un tel soufflet que mes doigts en frissonnèrent, comme si je venais de les mettre dans le feu.

Il saisit la main qui l’avait frappé, et nous restâmes longtemps à nous regarder en silence, assez longtemps pour que les traces blanches que mes doigts avaient imprimées sur sa joue fussent remplacées par des marques d’un rouge violet.