Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/205

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j’en tire un revenu très-respectable. J’ai acquis une grande réputation dans cette spécialité, et je suis au nombre des douze sténographes qui recueillent les débats du parlement pour un journal du matin. Tous les soirs je prends note de prédictions qui ne s’accompliront jamais ; de professions de foi auxquelles on n’est jamais fidèle ; d’explications qui n’ont pas d’autre but que de mystifier le bon public. Je n’y vois plus que du feu. La Grande-Bretagne, cette malheureuse vierge qu’on met à toute sauce, je la vois toujours devant moi comme une volaille à la broche, bien plumée et bien troussée, traversée de part en part avec des plumes de fer et ficelée bel et bien avec une faveur rouge. Je suis assez au courant des mystères de la coulisse pour apprécier à sa valeur la vie politique ; aussi je suis à cet égard un incrédule fini ; jamais on ne me convertira là-dessus.

Mon cher ami Traddles s’est essayé au même travail, mais ce n’est pas son affaire. Il prend son échec de la meilleure humeur du monde, et me rappelle qu’il a toujours eu la tête dure. Les éditeurs de mon journal l’emploient parfois à recueillir des faits, qu’ils donnent ensuite à des metteurs en œuvre plus habiles. Il entre au barreau, et, à force de patience et de travail, il parvient à réunir cent livres sterling, pour offrir à un procureur dont il fréquente l’étude. On a consommé bien du vin de Porto pour son jour de bienvenue, et je crois que les étudiants du Temple ont dû bien se régaler à ses dépens, ce jour-là.

J’ai fait une autre tentative : j’ai tâté avec crainte et tremblement du métier d’auteur. J’ai envoyé mon premier essai à une revue, qui l’a publié. Depuis lors, j’ai pris courage, et j’ai publié quelques autres petits travaux ; ils commencent à me rapporter quelque chose. En tout, mes affaires marchent bien, et quand je compte mon revenu sur les doigts de ma main gauche, je passe le troisième doigt et je m’arrête à la seconde jointure du quatrième : trois cent cinquante livres sterling, ce n’est, ma foi, pas une plaisanterie.

Nous avons quitté Buckingham-Street pour nous établir dans une jolie petite maison, tout près de celle que j’admirais tant jadis. Ma tante a bien vendu sa maison de Douvres, mais elle ne compte pourtant pas rester avec nous, elle veut aller s’installer dans un cottage du voisinage, plus modeste que le nôtre. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? s’agirait-il de mon mariage ? Oui-da !