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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/227

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J’étais encore, pour l’âge, un jeune garçon plutôt qu’un mari. Je n’avais connu, pour me former par leur salutaire influence, d’autres chagrins que ceux qu’on a pu lire dans ce récit. Si je me trompais, et cela m’arrivait peut-être bien souvent, c’étaient mon amour et mon peu d’expérience qui m’égaraient. Je dis l’exacte vérité. À quoi me servirait maintenant la dissimulation ?

C’était donc sur moi que retombaient toutes les difficultés et les soucis de notre vie ; elle n’en prenait pas sa part. Notre ménage était à peu près dans le même gâchis qu’au début ; seulement je m’y étais habitué, et j’avais au moins le plaisir de voir que Dora n’avait presque jamais de chagrin. Elle avait retrouvé toute sa gaieté folâtre ; elle m’aimait de tout son cœur et s’amusait comme autrefois : c’est-à-dire comme un enfant.

Quand les débats des Chambres avaient été assommants (je ne parle que de leur longueur, et non de leur qualité, car, sous ce dernier rapport ils n’étaient jamais autrement), et que je rentrais tard, Dora ne voulait jamais s’endormir avant que je fusse rentré, et descendait toujours pour me recevoir. Quand je n’avais pas à m’occuper du travail qui m’avait coûté tant de labeur sténographique, et que je pouvais écrire pour mon propre compte, elle venait s’asseoir tranquillement près de moi, si tard que ce pût être, et elle était tellement silencieuse que souvent je la croyais endormie. Mais en général, quand je levais la tête, je voyais ses yeux bleus fixés sur moi avec l’attention tranquille dont j’ai déjà parlé.

« Ce pauvre garçon ! doit-il étire fatigué ! dit-elle un soir, au moment où je fermais mon pupitre.

— Cette pauvre petite fille ! doit-elle être fatiguée ! répondis-je. Ce serait à moi à vous dire cela, Dora. Une autre fois, vous irez vous coucher, mon amour ; il est beaucoup trop tard pour vous.

— Oh ! non ! ne m’envoyez pas coucher, dit Dora d’un ton suppliant. Je vous en prie, ne faites pas ça !

— Dora ! »

À mon grand étonnement, elle pleurait sur mon épaule.

« Vous n’êtes donc pas bien, ma petite ; vous n’êtes pas heureuse ?

— Si, je suis très-bien, et très-heureuse, dit Dora. Mais promettez-moi que vous me laisserez rester près de vous pour vous voir écrire.