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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/261

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cherchions. Mais en apercevant l’eau verdâtre, à travers la ruelle, j’eus un secret instinct qu’elle n’irait pas plus loin.

Tout ce qui nous entourait était triste, solitaire et sombre ce soir-là. Il n’y avait ni quai ni maisons sur la route monotone qui avoisinait la vaste étendue de la prison. Un étang d’eau saumâtre déposait sa vase aux pieds de cet immense bâtiment. De mauvaises herbes à demi pourries couvraient le terrain marécageux. D’un côté, des maisons en ruines, mal commencées et qui n’avaient jamais été achevées; de l’autre, un amas de pièces de fer informes, de roues, de crampons, de tuyaux, de fourneaux, d’ancres, de cloches à plongeur, de cabestans et je ne sais combien d’autres objets honteux d’eux-mêmes, qui semblaient vainement chercher à se cacher sous la poussière et la boue dont ils étaient recouverts. Sur la rive opposée, la lueur éclatante et le fracas des usines semblaient prendre à tâche de troubler le repos de la nuit, mais l’épaisse fumée que vomissaient leurs cheminées massives ne s’en émouvait pas et continuait de s’élever en une colonne incessante. Des trouées et des jetées limoneuses serpentaient entre des blocs de bois tout recouverts d’une mousse verdâtre, semblable à une perruque de chiendent, et sur lesquels on pouvait encore lire des fragments d’affiches de l’année dernière offrant une récompense à ceux qui recueilleraient des noyés apportés là par la marée, à travers la vase et la bourbe. On disait que jadis, dans le temps de la grande peste, on avait creusé là une fosse pour y jeter les morts, et cette croyance semblait avoir répandu sur tout le voisinage une fatale influence ; il semblait que la peste eût fini graduellement par se décomposer en cette forme nouvelle, et qu’elle se fût combinée là avec l’écume du fleuve souillée par son contact pour former ce bourbier immonde et gluant.

C’est là que, se croyant sans doute pétrie du même limon et se regardant comme le rebut de la nature réclamé par ce cloaque de pourriture et de corruption, la jeune fille que nous avions suivie dans sa course égarée se tenait au milieu de cette scène nocturne, seule et triste, regardant l’eau.

Quelques barques étaient jetées çà et là sur la vase du rivage ; nous pûmes, en les longeant, nous glisser près d’elle sans être vus. Je fis signe à M. Peggotty de rester où il était, et je m’approchai d’elle. Je ne m’avançais pas sans trembler, car, en la voyant terminer si brusquement sa course rapide, en l’observant là, debout, sous l’ombre du pont caverneux,