Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/162

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la main de cet homme à l’église. Si je ne le fais, que je tombe morte sur le carreau. »

Sa mère la regarda tout alarmée : le regard de sa fille n’était pas de nature à la rassurer.

« C’est bien assez, dit Edith avec fermeté, que nous soyons ce que nous sommes. Je ne veux pas qu’on ravale à mon niveau la jeunesse et l’innocence. Je ne veux pas qu’une âme candide soit corrompue, pervertie pour amuser les loisirs de toutes les mères du monde. Vous savez ce que je veux dire. Il faut que Florence retourne chez elle.

— Vous êtes une idiote, Edith ; s’écria sa mère irritée. Espérez-vous qu’il puisse y avoir un moment de tranquillité dans cette maison, tant qu’elle ne sera pas mariée ou qu’elle ne sera pas partie ?

— Demandez-moi, demandez-vous à vous-même, si je puis espérer la paix dans cette maison, lui répondit sa fille, et vous savez ma réponse.

— Je m’entendrai dire ce soir, après toutes les peines et tous les soucis que je me suis donnés, au moment même où par moi vous allez devenir indépendante, je m’entendrai dire qu’il n’y a en moi qu’impureté et corruption ! »

La voix de Mme Skewton poussait presque des sons inarticulés, et sa tête paralytique tremblait comme la feuille. « Je m’entendrai dire, continua-t-elle, que je ne suis pas une société convenable pour une jeune fille ! Qu’êtes-vous ? je vous prie ; qu’êtes-vous, je vous le demande ?

— Je me suis adressé la question plus d’une fois, répondit sa fille, couverte d’une sinistre pâleur et indiquant la croisée près de laquelle elle était restée si longtemps, quand j’étais assise là, et, en voyant passer dans la rue une créature dégradée de mon sexe, Dieu sait quelle réponse j’ai trouvée dans mon cœur. Ma mère ! ma mère ! si vous m’aviez seulement abandonnée aux instincts de mon âme, quand j’étais encore jeune fille, plus jeune que Florence, combien j’aurais été différente de ce que je suis ! »

Mme Skewton comprit que le moindre mouvement de colère pouvait être nuisible en pareille circonstance : elle se contraignit, s’abandonna à des gémissements, se plaignit d’avoir vécu trop longtemps : « Mon enfant me repousse, disait-elle ; dans ce siècle de fer, on n’a plus de respect pour ses parents ; s’il faut s’entendre dire de pareilles duretés par une enfant dénaturée, il y a de quoi dégoûter de la vie.