Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/163

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« Oui, dit-elle en pleurant, s’il fallait continuer de vivre exposée à de pareilles scènes, il vaudrait beaucoup mieux pour moi songer aux moyens de mettre fin à mon existence. Quoi ! Edith, c’est vous, ma fille, qui me tenez un pareil langage !

— Soit dit entre nous, ma mère, reprit Edith d’un air lugubre, le temps des récriminations est passé.

— Eh bien ! alors, répliqua sa mère, pourquoi raviver le passé ? Vous savez quels coups cruels vous me portez. Vous savez combien je suis sensible aux paroles désobligeantes. Et c’est dans un pareil moment, lorsque j’ai à penser à tant de choses et que je m’inquiète naturellement des moyens de paraître devant le monde à mon avantage ! Je ne vous comprends vraiment pas, Edith. Vous voulez donc que votre mère ait l’air d’un épouvantail le jour de votre mariage ? »

Edith baissa le même regard ferme sur sa mère, qui sanglotait et se frottait les yeux, et toujours avec la même froideur elle lui répondit :

« J’ai dit qu’il fallait que Florence retournât chez elle.

— Qu’elle retourne donc chez elle, s’écria Mme Skewton affligée et effrayée à la fois. Je ne m’y oppose pas. D’ailleurs, cette jeune fille, qu’est-elle pour moi ?

— Elle est beaucoup pour moi, reprit Edith : je ne permettrai pas que la lèpre dont mon âme est atteinte se communique à cette enfant ; non, je vous renierais plutôt, comme je renoncerais à lui demain à l’église, si vous m’y poussiez. Laissez-la seule. Tant que cela dépendra de moi, je ne souffrirai pas qu’on l’infecte des mauvais enseignements qu’on m’a donnés. Les conditions que je vous impose, dans cette triste soirée, ne sont pas trop dures, j’espère.

— Elles ne le seraient peut-être pas, Edith, fit sa mère en sanglotant, si vous vous étiez conduite en fille respectueuse. Mais après des paroles aussi amères…

— Il n’y en aura plus entre nous maintenant, fit Edith : suivez votre route, ma mère ; profitez, comme il vous plaira, de ce que vous avez gagné ; dépensez, jouissez, tirez-en tout le parti possible, et soyez aussi heureuse que vous le pourrez. Nous avons l’une et l’autre atteint le but de notre existence. Sachons donc toutes les deux en supporter les suites en silence. À partir de ce moment, mes lèvres sont à jamais fermées sur le passé. Je vous pardonne votre part de la mauvaise action que nous allons accomplir demain. Puisse Dieu me pardonner la mienne ! »