Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/181

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ma vie. » Le regard de Towlinson, en prononçant ces mots, est si sévère et si expressif, que la bonne est sur le point de se trouver mal, lorsque par bonheur elle apprend, ainsi que toute la société, que la mariée s’en va ; tous se précipitent alors, pour assister à son départ.

La voiture est à la porte ; la mariée descend dans le vestibule où l’attend M. Dombey. Florence est aussi sur l’escalier, prête à partir ; et miss Nipper, qui se trouve entre la salle à manger et la cuisine, se prépare à l’accompagner. Au moment où Edith paraît, Florence se précipite vers elle pour lui dire adieu.

Edith a-t-elle froid ? elle tremble. Y a-t-il dans le baiser de Florence, qui l’embrasse, quelque puissance magique qui fait frissonner et reculer cette fière beauté comme si elle ne pouvait supporter cette épreuve ? Elle est donc bien pressée, Edith ! car, à peine a-t-elle agité sa main en signe d’adieu, que la voilà déjà partie !

Mme  Skewton, en sa qualité de mère, ne peut maîtriser son émotion ; elle se laisse tomber sur son sofa, toujours comme Cléopatre, lorsque le bruit des roues de la voiture s’est perdu dans le lointain, et elle répand quelques larmes.

Le major, se levant de table avec les autres, essaye de la consoler ; mais elle ne veut pas entendre parler de consolation ; aussi le major prend-il congé. Le cousin Feenix et M. Carker en font autant. Tous les convives s’en vont. Cléopatre, restée seule, se sent légèrement étourdie par suite de la violence de son émotion et s’endort.

En bas, dans les régions culinaires, on n’est pas moins agité. Le jeune laquais, qui s’est mis en goguette de si bonne heure, a la tête collée sur la table dans l’office et ne peut plus l’en détacher. Une violente réaction s’est opérée dans l’état de Mme  Perch ; elle paraît abattue : M. Perch en est la cause : elle craint, dit-elle à la cuisinière, que son mari ne soit plus aussi attaché à son intérieur que lorsqu’ils n’étaient que neuf dans la famille. Towlinson a une musique continuelle dans les oreilles et une grande roue qui tourne, tourne, tourne sans fin dans sa tête. La bonne voudrait que ce ne fût pas un péché de désirer la mort. Il se passe encore un autre phénomène en bas, dans les régions culinaires : on a perdu toute idée du temps ; l’illusion leur fait croire qu’il est au moins dix heures du soir, tandis qu’il n’est pas encore trois heures de l’après-midi. Il règne dans la société comme un sentiment vague de