Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/182

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quelque méfait ; on s’en croit réciproquement complice ; on se fuit, on s’évite l’un l’autre.

Personne, ni homme ni femme, n’ose parler d’aller au spectacle. Quant au bal, il n’en est plus question, ce serait s’exposer à être traité d’imbécile.

Mme Skewton dort encore en haut, deux heures après, comme on fait à la cuisine. Les armoiries de la salle à manger n’ont plus pour tout spectacle que des miettes de pain, des assiettes sales, des taches de vin sur la nappe, de la glace à moitié fondue, des restes de fromage informes, des morceaux de homard, des cuisses de volaille, des gelées qui ne peuvent plus se soutenir et se fondent en sirop. Le mariage même, en ce moment, est comme le déjeuner, dépouillé de tous ses ornements. Les domestiques de M. Dombey raisonnent à perte de vue sur l’événement, si bien qu’au moment du thé, à huit heures ou à peu près, ils en sont devenus tout moroses. M. Perch, qui arrive en ce moment de la Cité, dispos et jovial, avec un gilet blanc, fredonnant sa chanson à boire, tout prêt à bien passer la soirée et à se donner du plaisir, est tout étonné de voir qu’il est froidement accueilli, que Mme Perch est mal à son aise, et qu’en fait de plaisir il ne reste plus que celui d’escorter sa femme à l’omnibus pour rentrer avec elle.

Il fait nuit sombre. Florence, qui a erré dans la belle maison, de pièce en pièce, cherche sa chambre dans laquelle Edith a rassemblé tout le luxe et le confortable possible : elle se dépouille de ses beaux vêtements pour reprendre la simple robe de deuil qu’elle portait depuis longtemps en souvenir de son cher Paul ; elle s’assied pour lire, tandis que Diogène, étendu sur le parquet à côté d’elle, s’amuse à cligner de l’œil. Mais Florence ne peut pas lire aujourd’hui. Il y a pour elle quelque chose d’étrange dans cette maison, qui n’est plus l’ancienne maison Dombey, à la voir si animée et si retentissante. Son cœur s’assombrit : elle ne sait ni comment ni pourquoi ; mais elle a le cœur gros. Florence ferme son livre, et ce lourdaud de Diogène, qui prend cela pour un signal, pose ses pattes sur les genoux de sa maîtresse, et se frotte les oreilles contre les douces mains de la jeune fille. Mais, au bout de quelque temps de torpeur, la pauvre Florence ne le distingue plus bien ; un brouillard la sépare de son chien, et dans ce brouillard elle voit lui apparaître, brillants comme des anges, son frère et sa mère, qui ne sont plus. Walter aussi, le pauvre exilé, naufragé peut-être. Ah ! où donc peut-il être ?