Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/197

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— En vérité ? dit M. Toots, dont la figure s’allongea démesurément.

— Ils étaient faits l’un pour l’autre, dit le capitaine d’une voix dolente ! Mais à quoi cela sert-il maintenant ?

— Parole d’honneur, s’écria M. Toots qui riait et pleurait à la fois, aussi son éloquence se ressentait-elle de ce singulier amalgame ; ce que vous venez de me dire là m’attriste encore plus. Vous le savez capitaine Gills, j’a… j’adore mademoiselle Dombey ; je… je suis blessé au cœur. » L’éclat de voix, qui accompagna ces dernières paroles du pauvre M. Toots, témoignait suffisamment de la véhémence de ses sentiments. « Mais où serait le mérite de ma manière de voir à son égard, si je n’éprouvais pas un sincère chagrin de la voir dans la désolation, quelle que soit d’ailleurs la cause de son désespoir ? Mon affection n’est pas de l’égoïsme, vous le savez, dit M. Toots dont la confiance pour le capitaine datait du moment où il avait pu apprécier sa sensibilité. Je suis un être bien singulier, capitaine Gills, c’est au point qu’il n’y a pas de chose que je ne me sente capable de supporter pour Mlle Dombey : je voudrais être écrasé, foulé aux pieds, précipité d’un sixième étage ; si c’était pour elle, ce serait le plus grand bonheur qui pût m’arriver. »

En disant cela, M. Toots avait bien soin de baisser la voix, dans la crainte que cette confidence ne parvînt jusqu’aux oreilles jalouses de Coq-Hardi, qui lui interdisait toute espèce d’émotion douce. Cet effort qu’il faisait pour contenir sa voix, joint aux sentiments vifs qui l’agitaient, le fit rougir jusqu’au bout des oreilles ; il avait l’air, aux yeux du capitaine Cuttle, d’éprouver un amour si désintéressé, que celui-ci, pour le consoler, le tapa doucement dans le dos en l’invitant à prendre courage.

« Merci, capitaine Gills, dit M. Toots, c’est bien aimable à vous, au milieu de vos peines, de me parler ainsi. Je vous suis vraiment bien obligé. Comme je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, j’ai réellement besoin d’un ami et je serais fort aise de faire votre connaissance. Quoique je sois très-bien dans mes affaires, ajouta-t-il avec vivacité, vous ne pouvez vous figurer quelle malheureuse bête je fais ! Les badauds, qui me voient avec Coq-Hardi et des gens de distinction comme celui-là, me supposent heureux ; mais je suis bien misérable. Je souffre bien pour Mlle Dombey, capitaine Gills. La nourriture ne me profite plus, je ne trouve plus de plaisir à me faire