Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/273

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Mais miss Tox, n’était ni d’âge, ni d’humeur à se désoler éternellement. Il n’y avait encore que deux cordes de sa harpe qui fussent détendues quand elle fit résonner de nouveau la valse des Oiseaux sous ses doigts agiles dans le petit salon circulaire. Il n’y avait encore qu’une tige de géranium qui eût péri faute de culture, lorsqu’elle se remit à jardiner sur ses caisses vertes, tous les matins. Il n’y avait pas plus de six semaines que la tête poudrée de l’ancêtre avait disparu sous un nuage de poussière quand miss Tox se décida à souffler sur son visage souriant et à l’essuyer avec une peau de chamois.

Cependant miss Tox se trouvait bien seule et bien embarrassée. Ses amitiés, malgré leur forme ridicule, n’en étaient pas moins réelles et solides, et, si pour nous servir de ses propres expressions, elle était profondément blessée du mépris immérité de Louisa, sa colère ne pouvait durer : la colère ne fut jamais le défaut de miss Tox. Si elle avait suivi son petit bonhomme de chemin dans la vie bien paisiblement, sans opinion bien tranchée, elle avait au moins cet avantage d’être parvenue où elle en était, sans avoir éprouvé les orages du cœur. Un jour elle aperçut dans la rue, à une assez grande distance Louisa Chick. À cette vue, sa timide nature ressentit un tel saisissement qu’elle fut forcée de chercher un refuge immédiat dans la boutique d’un pâtissier ; et là, retirée dans une petite salle, où l’on mangeait habituellement de la soupe, et au milieu d’une atmosphère tout imprégnée d’un parfum de bouillon de queues de bœuf, elle soulagea son cœur en pleurant à chaudes larmes.

Quant à M. Dombey, Miss Tox ne pensait pas avoir à se plaindre de lui. Elle avait une si haute opinion de la grandeur de ce gentleman, qu’une fois séparée de lui il lui semblait qu’elle aurait dû toujours être à une immense distance d’un tel personnage, et qu’elle devait lui savoir gré de la condescendance avec laquelle il avait daigné jusque-là tolérer ses visites. Il n’y avait pas de femme trop belle, trop brillante pour lui, pensait sincèrement miss Tox. Il était bien naturel que, voulant se marier, il élevât très-haut ses prétentions, Miss Tox les larmes aux yeux, y pensait vingt fois par jour, et chaque fois arrivait à la même conclusion. Elle oubliait la manière hautaine dont M. Dombey l’avait rendue l’esclave de ses fantaisies et de ses caprices, faisant d’elle à grand’peine et tout au plus une des bonnes de son fils.