Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/146

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apprenti chez l’horloger, ce murmure, je me le rappelle, me poursuivait encore et semblait me dire : « Qui es-tu, petit malheureux ? Pauvre petit infortuné, qui es-tu ? » D’autres fois, lorsque le bruit devenait plus sourd et annonçait un orage près d’éclater, je croyais entendre ces mots : « Boum ! boum ! battez-le ! battez-le ! » C’est ce que criait ma mère quand elle se mettait en colère contre moi… si tant est qu’elle fût ma mère !…

— Si tant est… — répliqua Vendale, qui changea brusquement de posture, — si tant est qu’elle fût votre mère !… Pourquoi dites-vous cela ?

— Que sais-je ? — répéta Obenreizer avec un geste d’indifférence ; — que puis-je vous dire ?… ma naissance est si obscure. Par exemple, j’étais encore très-jeune, un petit enfant, que tout le reste de ma famille, hommes et femmes, étaient presque vieux. Tout est donc possible à croire…

— Avez-vous jamais douté ?…

— Je vous ai déjà dit, une fois, que je doutais de mon père et de ma mère, — répliqua le Suisse. — Mais enfin, je suis de ce monde, n’est-il pas vrai ? Je fais partie de la création, et si je ne suis point issu d’une bonne famille, qu’importe !

— En vérité, êtes-vous bien Suisse ? — lui demanda Vendale, qui ne le quittait plus des yeux.

— Et comment le saurais-je ? — fit Obenreizer, en s’arrêtant brusquement.

Il jeta par-dessus l’épaule un regard indéfinissable à son compagnon.

— Si l’on vous demandait : Êtes-vous Anglais ?