Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/221

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comme au-dessus de lui. Ces paroles consolèrent un peu le jeune John.

« Mademoiselle Amy, bégaya-t-il, depuis longtemps… depuis des siècles, à ce qu’il me semble… je nourris dans mon cœur le désir de vous dire quelque chose. Puis-je parler ? »

La petite Dorrit s’éloigna encore une fois de lui avec un tressaillement involontaire ; réprimant ce mouvement, elle traversa d’un pas rapide la moitié du pont sans répondre.

« Puis-je parler ?… Mademoiselle Amy, je vous adresse humblement cette simple question… Puis-je parler ? Je suis si malheureux de la peine que je vous ai causée (sans le vouloir, j’en prends le ciel à témoin !), qu’il n’y a pas le moindre danger que je parle sans votre consentement. Je saurais garder pour moi le secret de ma peine, je saurais dévorer ma douleur, sans chercher à faire partager ma douleur et ma peine à celle pour laquelle je me lancerais plutôt par-dessus ce parapet si cela pouvait lui procurer un moment de plaisir ! D’ailleurs, ce n’est pas bien malin, car je le ferais pour un penny. »

L’accablement de John avec une mise si splendide aurait pu le rendre ridicule, si sa délicatesse ne l’avait pas rendu respectable. La petite Dorrit comprit ce qu’elle devait faire.

« S’il vous plaît, John Chivery, dit-elle en tremblant, mais d’un ton calme, puisque vous avez l’obligeance de me demander si vous devez en dire davantage, s’il vous plaît, n’en faites rien.

— Jamais, mademoiselle Amy ?

— Non, s’il vous plaît, jamais.

— Ah ! bonté du ciel !

— Mais peut-être, au lieu de cela, me laisserez-vous vous dire quelque chose moi-même. Je voudrais bien vous le dire tout franchement, avec autant de simplicité que possible. Quand vous penserez à nous, John, je veux dire à mon frère, à ma sœur et à moi, ne pensez pas à nous comme à des personnes qui diffèrent des autres détenus ; car, quelque position que nous ayons occupée autrefois (et je ne la connais guère), il y a longtemps que nous sommes ce que vous voyez et nous ne nous relèverons jamais. Cela vaudra mieux pour vous, et beaucoup mieux pour d’autres, que de faire ce que vous faites maintenant. »

Le jeune John protesta d’un air lugubre qu’il essayerait de se rappeler ce conseil et qu’il ferait volontiers ce qu’elle désirait.

« Quant à moi, dit la petite Dorrit, pensez à moi aussi peu que vous pourrez ; moins vous y penserez, mieux cela vaudra. Lorsque vous penserez à moi, John, ne songez qu’à l’enfant que vous avez vue grandir dans la prison, toujours occupée des mêmes devoirs, qui est restée faible, craintive, contente et sans protecteur. Je désire surtout que vous vous rappeliez que, lorsque je mets le pied hors de la prison, je suis seule et sans protecteur. »

Il répondit qu’il était prêt à faire tout ce qu’elle désirait. Mais pourquoi Mlle Amy tenait-elle tant à ce qu’il se rappelât cela ?