Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/259

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— En êtes-vous sûre ?

— Monsieur, reprit Mme Chivery, aussi sûre et certaine que je suis là devant vous, que j’étais ici quand j’ai vu de mes propres yeux sortir mon fils, que j’y étais quand je l’ai vu de mes propres yeux revenir, et que je sais qu’il lui a parlé ! »

Ces détails circonstanciés et ces répétitions prêtèrent une énergie surprenante à l’éloquence de Mme Chivery.

« Puis-je vous demander comment votre fils est dans cet état d’accablement qui vous cause une si grande inquiétude ?

— Cela a commencé, dit Mme Chivery, le même jour où de mes yeux j’ai vu notre John à la maison revenir : depuis lors je ne le reconnais plus ici. Il n’a jamais ressemblé à ce qu’aujourd’hui il est, depuis l’heure où, dans cette maison, il y a sept ans, moi et son père, comme locataires, sommes venus nous établir. »

Ce discours, grâce aux inversions originales de Mme Chivery, avait pris un certain air de document légal. « Oserais-je vous demander ce que vous pensez de tout cela ?

— Osez, répondit Mme Chivery, et je vous le dirai en paroles et en honneur aussi vrai que dans cette boutique je suis. Tout le monde estime notre John et lui veut du bien. Enfant, il a joué avec elle lorsque dans cette cour, enfant aussi, elle jouait. Il ne l’a jamais perdue de vue depuis. Il est sorti le dimanche dans l’après-midi après que dans cette salle où vous êtes il eut dîné, et il l’a rencontrée. Avait-il un rendez-vous ou n’en avait-il pas, je ne prétends pas le savoir. Il a fait sa déclaration. Le frère et la sœur sont fiers et ne veulent pas de notre John. Le père ne pense qu’à lui-même et ne veut partager sa fille avec personne. Vu ces circonstances elle a répondu à notre John : « Non, John, je ne puis pas vous épouser, je ne peux pas me marier, ce n’est pas mon intention de jamais prendre un mari. Adieu, trouvez une femme digne de vous et oubliez-moi ! » Voilà comment elle se condamne à rester toujours l’esclave de gens qui ne sont pas dignes que leur esclave elle soit. Voilà comment notre John est arrivé à n’avoir plus d’autre plaisir que celui de s’enrhumer au milieu du linge, et de montrer dans cette cour, comme dans cette cour je viens de vous le faire voir moi-même, une existence ruinée qui gonfle le cœur de sa mère ! »

La brave femme montrait la petite croisée d’où l’on pouvait voir son fils inconsolable assis dans le muet bocage ; elle secoua de nouveau la tête et s’essuya les yeux, et le supplia, dans l’intérêt commun des deux jeunes gens, d’employer son influence pour changer le cours de ces tristes événements.

Elle paraissait si sûre de la vérité des faits qu’elle avançait, et ces faits d’ailleurs étaient fondés sur des prémisses si correctes en ce qui concernait les relations de la petite Dorrit avec sa famille, que Clennam ne pouvait pas être certain que Mme Chivery se trompât. Il avait fini par prendre à la petite Dorrit un intérêt si particulier, un intérêt qui tenait, il est vrai, au grossier et vulgaire