Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/261

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entendu marcher derrière moi, il m’a semblé que le pas résonnait… comme le vôtre.

— Allez-vous plus loin ?

— Non, monsieur, je suis seulement venue ici pour prendre l’air. »

Ils se promenèrent ensemble, et la jeune fille retrouva ses manières confiantes et le regarda en face, tandis qu’elle disait après avoir jeté un coup d’œil autour d’elle :

« C’est bien étrange. Peut-être aurez-vous de la peine à comprendre cela. Quelquefois il me semble que c’est presque de l’égoïsme de cœur que de venir me promener ici.

— De l’égoïsme ! Comment cela ?

— Voir la rivière et une si vaste étendue de ciel, et tant d’objets, tant de variété et de mouvement ; puis retourner là-bas et le retrouver lui, dans cette étroite enceinte…

— Oui ! mais vous oubliez qu’en rentrant vous rapportez l’influence et le reflet de ces objets pour l’égayer.

— Croyez-vous ? Je l’espère, mais je crains qu’il n’y ait là dedans plus d’imagination que de réalité, monsieur, et que vous ne me croyiez plus de pouvoir que je n’en ai. Si vous étiez en prison comme lui, croyez-vous que je vous rapporterais revenant de ma promenade, le germe de consolation dont vous parlez ?

— Oui, petite Dorrit, j’en suis sûr. »

À voir le tremblement de ses lèvres et l’ombre d’une grande agitation qui traversa ses traits, Arthur jugea que la petite Dorrit songeait à son père ; il resta quelques instants sans parler, afin de laisser la jeune fille reprendre son sang-froid. La petite Dorrit tremblant à son bras s’accordait moins que jamais avec les hypothèses de Mme Chivery, et pourtant il ne lui paraissait pas impossible qu’il y eût en jeu quelque autre amour à l’horizon, bien loin, bien loin, dans un horizon reculé et sans espoir.

Ils se retournèrent et Clennam lui dit : « Voici venir Maggy ! » La petite Dorrit leva les yeux d’un air étonné et les deux promeneurs se trouvèrent en face de Maggy, qui s’arrêta tout court en les apercevant. Elle était arrivée au trot, si préoccupée et si affairée, qu’elle ne les avait reconnus qu’au moment où ils lui avaient barré le chemin. Mais alors elle fut si saisie de les voir, que son panier en ressentit le contre-coup.

« Maggy, tu m’avais promis de rester près de mon père.

— Et j’y serais restée, petite mère, mais c’est lui qui n’a pas voulu. S’il m’envoie faire une commission, il faut bien que j’y aille ; s’il vient me dire : « Maggy, porte la lettre et reviens vite et, si tu rapportes une bonne réponse, tu auras six pence, » il faut bien que je la porte. Bon Dieu, petite mère, que voulez-vous donc que fasse une pauvre petite fille de dix ans ? Et si M. Tip, rentrant juste au moment où je sors, me dit : « Où vas tu, Maggy ? » et que je lui dise : « Je vais à tel ou tel endroit, » et qu’il me dise : « Tiens, si je profitais de la circonstance ! » et qu’il passe au