Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/319

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l’industrieux M. Pancks ne pourrait-il pas dévoiler, à l’improviste, certains motifs secrets qui auraient engagé Mme Clennam à protéger la petite Dorrit ? C’était là un sujet de sérieuses réflexions.

Non qu’Arthur chancelât un seul instant soit dans son désir, soit dans sa détermination de réparer une injustice commise du vivant de son père, si toutefois on venait à en découvrir une et qu’il fût possible de la réparer. L’ombre d’un tort supposé qui pût planer sur lui depuis la mort de son père était si vague et si nuageuse qu’elle pouvait être le résultat d’une réalité bien différente de l’idée qu’il s’en faisait. Mais, si son pressentiment se trouvait justifié, il était prêt à faire l’abandon de tout ce qu’il possédait, dût-il être obligé de recommencer son début dans la vie. Comme les terribles et sombres leçons de son enfance n’avaient jamais pénétré jusqu’à son cœur, le premier article de son code de morale était qu’il fallait commencer, en toute humilité pratique, par regarder à ses pieds sur la terre, pour ne point trébucher dans sa route, attendu que les pieuses paroles n’étaient point des ailes qui pussent nous faire monter aux cieux. Le devoir sur la terre, la restitution sur la terre : commençons par là, car ce sont là les deux premières marches d’un escalier difficile. La porte est étroite et le sentier resserré ; bien plus étroit et plus resserré que la grand’route parée de vaines professions de foi, de pailles entrevues dans l’œil du voisin et du généreux abandon d’autrui au jugement sévère de la Providence : tous oripeaux qui ne coûtent pas cher, ou plutôt qui ne coûtent absolument rien.

Non ; Il n’entrait dans son inquiétude ni terreur ni hésitation égoïste, il craignait seulement que Pancks ne remplît pas son engagement et ne fît quelque découverte sans la lui confier. D’un autre côté, lorsqu’il se rappelait sa conversation avec lui, et le peu de raison qu’il avait de supposer que ce bizarre personnage eût trouvé quelque piste nouvelle, il s’étonnait parfois d’y attacher tant d’importance. Ballotté sur cette mer d’incertitudes comme toutes les barques sont ballottées sur la mer, il errait à l’aventure sans pouvoir trouver de port.

La disparition de la petite Dorrit, qui s’était dérobée à leurs relations d’habitude, ne raccommodait pas les choses. Elle était si souvent sortie et elle restait si souvent dans sa chambre, qu’il commença à s’apercevoir qu’elle lui manquait et que son absence lui laissait un vide. Il lui avait écrit pour lui demander si elle allait mieux, et elle lui avait répondu, dans les termes d’une vive reconnaissance, qu’elle se portait très-bien et qu’il aurait tort de s’inquiéter ; mais il ne l’avait pas revue depuis plusieurs semaines, et, comme il n’était pas accoutumé à cela, le temps lui paraissait bien long.

En rentrant chez lui un soir, après une entrevue avec le doyen, qui lui avait dit que sa fille était en visite (c’était toujours sa réponse lorsqu’elle était à travailler de tout son courage pour gagner le souper de son père), Clennam trouva M. Meagles qui se promenait