Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans le salon d’un pas très-agité. Dès qu’Arthur ouvrit la porte, M. Meagles s’arrêta, se retourna, et s’écria : « Clennam !… Tattycoram !

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Perdue !

— Eh ! Mais, bon Dieu ! que voulez-vous dire ?

— Elle n’a pas voulu compter jusqu’à vingt-cinq, monsieur ; pas moyen de la décider à aller jusque-là ; elle s’est arrêtée à huit, et la voilà partie !

— Partie de chez vous ?

— Pour ne plus revenir, répondit M. Meagles secouant la tête. Vous ne connaissez pas le caractère emporté et indomptable de cette fille ; une douzaine de chevaux attelés après elle ne suffiraient pas pour la ramener maintenant ; et d’ailleurs toutes les chaînes et tous les verrous de l’ancienne Bastille ne suffiraient pas pour la retenir si elle était ici contre son gré.

— Comment la chose est-elle arrivée ? Asseyez-vous donc, je vous en prie, et racontez-moi cela.

— Quant à vous dire comment c’est arrivé, ce n’est pas trop facile ; car, à moins de connaître d’abord le malheureux caractère de cette pauvre fille, qui est un véritable ouragan, vous auriez peine à me comprendre. Mais voici quelques détails. Depuis quelque temps, Chérie et Mère et moi, nous avons eu pas mal de causeries intimes. Je ne vous cacherai pas, Clennam, que ces causeries n’ont pas été d’une nature aussi agréable que nous aurions pu le désirer ; il y était question d’un nouveau voyage. En proposant de nous remettre encore une fois en route, j’avais un but. »

Le cœur de Personne se mit à battre bien fort.

« Un but, continua M. Meagles au bout d’un instant, que je ne vous cacherai pas non plus, Clennam. Notre chère fille a une inclination que je regrette. Peut-être avez-vous deviné pour qui ? Henry Gowan.

— Cette nouvelle n’a rien d’imprévu pour moi.

— Allons ! dit M. Meagles en poussant un profond soupir. Plût à Dieu que vous n’eussiez pas eu à le prévoir. Enfin, cela est. Mère et moi nous avons tout fait pour l’empêcher, Clennam. Les tendres conseils, le temps, l’absence, nous avons tout essayé, sans succès jusqu’à présent. Dans nos récentes causeries il a été question de nous éloigner encore une fois, pour une année au moins, afin qu’il y eût une séparation et une rupture complètes pendant ce laps de temps. Chérie en a été malheureuse, et par conséquent Mère et moi nous avons été malheureux aussi. »

Clennam dit qu’il le croyait sans peine.

« Or, continua M. Meagles d’un ton apologétique, je dois reconnaître, en ma qualité d’homme pratique, et je suis sûr que Mère, en sa qualité de femme pratique, reconnaîtrait avec moi que dans les familles chacun est porté à exagérer ses peines et à transformer en montagnes ses taupinières domestiques, de manière à agacer les