Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/333

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son empire, était empreint d’une telle harmonie de grandeur et de miséricorde que l’espérance allait verser son baume au cœur de l’homme spectateur de cette scène enchanteresse.

Clennam s’était arrêté (ce n’était pas la première fois, bien au contraire) pour jeter les yeux autour de lui et laisser ce tableau paisible descendre dans son âme, à mesure que les ombres descendaient aussi sous ses yeux dans la profondeur de l’onde. Il venait de se remettre en marche, lorsqu’il aperçut devant lui, dans le sentier qu’il suivait, une personne qu’il avait déjà peut-être associée dans sa pensée aux impressions de cette belle soirée.

Minnie se trouvait là toute seule. Elle tenait des roses à la main et semblait s’être arrêtée en le voyant, comme pour l’attendre. Son visage tourné vers Clennam montrait qu’elle avait suivi une direction opposée. Ses manières avaient quelque chose d’agité qu’Arthur n’avait jamais remarqué chez elle, et lorsqu’il se fut rapproché d’elle, il lui vint tout à coup à l’esprit qu’elle était venue au-devant de lui avec l’intention de lui parler.

Elle lui tendit la main en lui disant :

« Cela vous étonne de me trouver ici toute seule ? Mais la soirée est si belle, que je me suis promenée plus loin que je n’en avais d’abord l’intention. D’ailleurs je pensais bien que je vous rencontrerais, et cela m’a donné du courage. Vous prenez toujours ce chemin, je crois ? »

Tandis qu’il répondait qu’il préférait ce chemin-là à tous les autres, il sentit la main de Chérie trembler sur son bras et vit que les roses se mettaient à trembler aussi.

« Voulez-vous me laisser vous en donner une, monsieur Clennam ? Je les ai cueillies en sortant du jardin. Et même je les ai presque cueillies à votre intention, me doutant que j’allais vous rencontrer. M. Doyce est arrivé il y a plus d’une heure déjà, et nous a dit que vous veniez à pied. »

La main d’Arthur trembla aussi en acceptant une rose ou deux, et il la remercia. Ils se trouvaient en ce moment auprès d’une avenue d’arbres. Y dirigèrent-ils leurs pas, entraînés par un mouvement de Clennam ou de Minnie ? Peu importe. Clennam n’aurait pas pu le dire lui-même.

« Cette allée a quelque chose de grave, dit-il ; mais c’est une gravité qui charme à cette heure de la journée. En traversant cette ombre profonde et en débouchant dans l’arcade de lumière que nous voyons à l’autre extrémité, je crois que nous prenons le plus beau chemin pour arriver au bac et à la maison. »

Dans son simple chapeau de campagne et sa robe légère, le visage encadré par les boucles naturelles de sa belle chevelure brune, tandis qu’elle levait ses grands yeux vers le visage de son cavalier avec un regard où l’amitié et la confiance qu’il lui inspirait se mêlaient à une sorte de douce et timide pitié, elle paraissait si jolie qu’il était heureux (ou malheureux, il ne savait pas