Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/335

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était parfaitement vrai, si le cœur est en effet la source de la sincérité), puis elle se calma peu à peu, recevant de temps à autre un mot d’encouragement de son cavalier ; c’est ainsi qu’ils continuèrent à s’avancer lentement et presque silencieusement sous l’arcade de verdure qui à chaque instant devenait plus sombre.

« Et maintenant, Minnie Gowan, dit enfin Clennam avec un sourire, n’avez-vous aucun service à me demander ?

— Oh si, j’ai bien des choses à vous demander.

— À la bonne heure ! J’y comptais… Mon espoir n’est pas déçu.

— Vous savez combien l’on m’aime à la maison. Peut-être aurez-vous de la peine à croire, cher monsieur Clennam (elle s’exprimait avec beaucoup d’agitation), en me voyant les quitter de mon propre gré et de mon propre mouvement, que je les aime aussi de tout mon cœur !

— J’en suis bien convaincu. Comment pouvez-vous croire que j’en doute ?

— Non, non. Mais il semble étrange même à mes propres yeux, que, les aimant comme je les aime, et me sachant aimée comme je le suis, je puisse me décider à les abandonner. Il me semble qu’il y a là quelque chose de si oublieux, de si ingrat !

— Ma chère enfant, dit Clennam, c’est le progrès naturel, le changement inévitable qu’amènent les années. Toutes les jeunes filles quittent ainsi leurs parents.

— Oui, je le sais ; mais toutes ne les quittent pas en laissant derrière elles un vide comme celui que je vais laisser derrière moi. Non qu’il soit difficile de trouver une foule de filles meilleures, plus aimables et plus accomplies que moi ; non que je mérite d’être beaucoup regrettée, mais ils m’aiment tant, ils m’ont tant gâtée ! »

Le cœur aimant de Chérie déborda, et elle sanglota en parlant des conséquences de son départ.

« Je sais combien père va être attristé tout d’abord, car je sais que tout d’abord je ne pourrai plus être pour lui ce que j’ai été depuis tant d’années. Et c’est surtout alors, monsieur Clennam, que je vous prie et vous supplie de penser à lui et de venir parfois lui tenir compagnie, lorsque vous aurez un moment à perdre ; et de lui dire que vous savez que, lorsque je l’ai quitté, je l’aimais mieux que je ne l’avais jamais aimé de ma vie. Car il n’y a personne… il me l’a dit lui-même ce matin en me parlant de vous… il n’y a personne qu’il estime plus que vous, et en qui il se repose avec plus de confiance. »

Un pressentiment de ce qui s’était passé entre le père et la fille tomba dans le cœur de Clennam comme une pierre tombe dans un puits, et fit monter les larmes à ses yeux. Il répondit gaiement (mais moins gaiement qu’il ne le croyait) qu’il ferait tout ce qu’elle désirait, qu’il le lui promettait fidèlement.

« Si je ne parle pas de ma mère, dit Chérie, trop émue et trop belle dans son innocente émotion pour que Clennam ne craignît pas de la regarder (il aima mieux compter les arbres qui se