Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

choses-là te regardent. Quant à moi, je ne sais plus. J’ai oublié tout cela, j’ai tout oublié.

— Mais, mon bon, riposta William, c’est justement pour cela qu’il faut chercher à sortir de ta torpeur habituelle. Il faut tâcher de te rappeler ce que tu as oublié, mon cher Frédéric. Ta position…

— Hein ? fit Frédéric.

— Ta position, mon cher Frédéric.

— Ma position ? Il se regarda d’abord lui-même, puis dirigea les yeux sur son frère, et, poussant un profond soupir, s’écria : « Ah oui, c’est juste ! Oui, oui, oui !

— Ta nouvelle position, mon cher Frédéric, n’est pas à dédaigner. La position de mon frère n’est nullement à dédaigner. Et je sais que tu as le cœur trop bien placé pour ne pas chercher à t’en rendre digne, mon cher Frédéric, au lieu de la déshonorer.

— William, répondit l’autre d’une voix affaiblie et avec un soupir, je ferai tout ce que tu voudras, mon frère, mais ne me demande pas l’impossible. Sois seulement assez bon pour te rappeler combien mes moyens sont limités. Que désires-tu que je fasse aujourd’hui, frère ? Dis-moi seulement ce que tu désires de moi.

— Rien, mon cher ami, rien. Il est inutile de tracasser un cœur comme le tien pour si peu de chose.

— Tracasse-le tant que tu voudras, William ; je ne demande pas mieux que de faire quelque chose pour t’obliger. »

William passa la main sur ses yeux et murmura avec une auguste satisfaction :

« Dieu te bénisse, mon pauvre cher Frédéric ! »

Puis il reprit plus haut :

« Eh bien, mon ami, si tu veux seulement essayer, tandis que nous sortons d’ici, d’avoir l’air de comprendre que ce jour est un grand jour pour toi… que tu y penses un peu…

— Et que me conseilles-tu d’en penser ? interrompit le frère d’un ton de soumission.

— Mon cher Frédéric, que veux-tu que je réponde à cela ? Je puis seulement te dire ce que je pense moi-même en quittant ces braves gens.

— C’est cela ! s’écria William. Cela m’aidera.

— Je me demande, mon cher Frédéric, avec un mélange d’émotions diverses où prédomine une douce pitié, je me demande ce qu’ils vont devenir sans moi ?

— Bien, répondit le frère. Oui, oui, oui. Je me demanderai cela en nous éloignant. Que vont-ils devenir sans mon frère ! Pauvres prisonniers ! Que vont-ils devenir sans lui ! »

Sur le coup de midi, on annonça que la voiture de M. Dorrit stationnait dans la première cour, et les deux frères descendirent bras dessus bras dessous. Édouard Dorrit, Esquire (naguère Tip), et sa sœur Fanny suivirent, se donnant aussi le bras ; M. Plornish et Maggy, auxquels on avait confié le soin de déménager les effets