Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/423

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qui valaient la peine d’être emportés, fermaient le cortège, chargea de divers paquets qu’on devait emballer dans une carriole…

Dans la cour se trouvaient les détenus et les guichetiers. On y voyait aussi M. Pancks et M. Rugg qui venaient assister au dénouement de la pièce à laquelle ils avaient mis la main. On y voyait aussi le jeune John en train de rédiger une nouvelle épitaphe où il déclarait qu’il était mort le cœur brisé. On y voyait aussi le patriarcal Casby qui avait l’air si extrêmement bienveillant que, dans leur enthousiasme, un grand nombre de détenus lui donnaient de chaleureuses poignées de main et que leurs femmes et leurs enfants lui baisaient les mains, convaincus que c’était le vénérable patriarche qui avait tout fait. On voyait aussi le chœur obligé composé des gens de la localité ; le prisonnier qui formulait sans cesse une plainte ténébreuse concernant certains fonds empochés par le directeur ; ce monomane s’était levé à cinq heures du matin afin d’achever de mettre au net une histoire parfaitement inintelligible de cette escroquerie supposée, et il confia à M. Dorrit cette importante pétition qui, disait-il, ne pouvait manquer d’abasourdir le gouvernement et de déterminer la chute du directeur. On y voyait aussi l’insolvable qui employait toute son énergie à faire des dettes, qui se donnait autant de peine pour se faire coffrer en prison que d’autres s’en donnaient pour en sortir, et que les syndics acquittaient avec force compliments ; tandis que l’insolvable qui se tenait auprès de lui (un piteux petit négociant plein de courage et de bonnes intentions, qui s’était tué le corps et l’âme pour éviter de faire des dettes), avait peine à ne pas passer pour un banqueroutier frauduleux. On y voyait aussi le père d’une nombreuse famille, avec des charges considérables, dont la faillite avait étonné tout le monde ; on y voyait aussi le riche dissipateur sans enfant ni charge d’aucune sorte, dont la faillite n’avait étonné personne. On y voyait des gens qui comptaient toujours partir le lendemain et qui remettaient toujours leur départ ; on y voyait des gens arrivés de la veille, qui se montraient beaucoup plus exaspérés contre la fortune que les vieux piliers de prison. On y voyait quelques-uns qui, par pure bassesse, s’abaissaient et s’inclinaient devant le détenu enrichi et sa famille ; d’autres les imitaient tout bonnement parce que leurs yeux, habitués aux ténèbres de la prison et de la pauvreté, étaient incapables de supporter l’éclat d’une pareille fortune. Il y en avait beaucoup dont les shillings avaient été empochés par le Doyen et avaient servi à lui acheter de quoi manger et boire, mais qui ne songeaient pas le moins du monde à s’en faire un titre pour traiter de pair à compagnon avec leur ex-Doyen. Au contraire, on eût plutôt dit que ces pauvres oiseaux en cage s’effarouchaient de voir l’heureux oiseau qui reprenait son essor, et ne s’en sentaient que plus disposés à se réfugier du côté des barreaux, tout tremblants, tandis que M. William Dorrit passait devant eux avec son cortège.

La petite procession, les deux frères en tête, s’avança lentement vers la grille. M. Dorrit, accablé par la grave question de