Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/424

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savoir ce que ces pauvres diables allaient devenir sans lui, fut majestueux et triste, sans toutefois se laisser absorber dans sa tristesse. Il caressa les petits enfants au passage, à l’instar de sir Roger de Coverley se rendant à l’église, il appela par leurs noms de baptême diverses personnes timides restées sur le second plan, il fut affable pour tout le monde et sembla vouloir les consoler en marchant au milieu d’eux entouré d’une auréole où on lisait en lettres d’or cette légende : « Ne te laisse pas abattre, ô mon peuple ! supporte cette rude épreuve ! »

Enfin, trois hourrahs bien francs vinrent annoncer que le Doyen avait franchi le seuil et que la prison était orpheline. Les échos de la cour n’avaient pas encore fini de répéter ces chaleureuses acclamations, que la famille s’était installée dans son équipage provisoire, dont le domestique allait relever le marchepied.

Alors alors seulement, Mlle Fanny s’écria tout à coup.

« Bonté divine… Mais où donc est Amy ? »

Le père avait pensé qu’elle était avec sa sœur. La sœur avait pensé qu’elle était « quelque part. » Tous avaient compté la voir se glisser tout doucement à sa place au moment opportun, ainsi que cela lui arrivait toujours. Ce départ était peut-être la seule action dont la famille se fût tirée jamais sans l’aide de la petite Dorrit.

On avait perdu environ une minute à se communiquer cette découverte, lorsque Mlle Fanny, qui, de son siège dans la voiture, pouvait plonger le regard dans l’étroit et long couloir conduisant à la loge, rougit d’indignation.

« Vraiment, papa, s’écria-t-elle, c’est honteux ! c’est déshonorant.

— Qu’est-ce qui est déshonorant, Fanny !

— Je le répète, continua l’ex-danseuse, c’est vraiment infâme !… Il y a presque de quoi, même un jour comme celui-ci, me faire désirer d’être morte ! Ne voilà-t-il pas cette petite Amy dans sa vieille robe fripée et fanée qu’elle a mis tant d’obstination à garder ; papa, cent fois je l’ai priée et suppliée de la changer, et cent fois elle a refusé, promettant de la changer aujourd’hui, parce qu’elle désirait la porter tant qu’elle resterait ici avec vous, papa ce qui est une stupidité romanesque du dernier trivial… Voilà cette petite Amy qui nous déshonore, au dernier moment, en se faisant porter jusqu’ici vêtue de sa vieille robe… et par ce M. Clennam, encore ! »

Il n’y avait pas moyen de nier le crime. Au moment où Fanny formulait l’acte d’accusation, M. Clennam parut à la portière de la voiture, tenant dans ses bras la petite Dorrit, qui avait perdu connaissance.

« Elle a été oubliée, dit Arthur d’un ton de compassion qui n’excluait pas le reproche. J’ai couru à sa chambre (que M. Chivery m’a indiquée) et j’ai trouvé la porte ouverte. Elle s’était évanouie, la pauvre enfant. Apparemment, elle aura perdu connaissance en allant changer de robe. Peut-être a-t-elle été effrayée par les