Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/184

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naturellement… mais néanmoins il y a une grande ressemblance. L’objet de la visite que je prends la liberté de vous faire vient de moi seule, je n’ai consulté âme qui vive… Arthur moins que personne… pardon encore…, Doyce et Clennam… non, je ne sais plus ce que je dis… c’est Clennam tout seul qu’il faut dire… car si je pouvais tirer d’inquiétude un ami qui se rattache par une chaîne dorée à ce temps heureux où tout m’apparaissait à travers un brouillard couleur de rose, cela me ferait plus de plaisir que la rançon d’un roi… non que j’aie la moindre idée de la valeur pécuniaire d’un monarque… mais je veux dire que je donnerais volontiers tout ce que j’ai, et même davantage, pour arriver à ce résultat. »

M. Dorrit, sans faire beaucoup d’attention aux bons sentiments qui dictaient à Flora ces dernières paroles, s’écria :

« Que désirez-vous de moi, madame ?

— Ce n’est pas très-probable, je le sais, répliqua Flora ; mais c’est possible, et comme c’est possible, dès que j’ai eu le plaisir d’apprendre par les journaux que vous étiez revenu d’Italie, et que vous ne tarderiez guère à y retourner, je me suis décidée à cette tentative ; car vous pourriez bien le rencontrer ou entendre parler de lui… ce qui serait un grand bonheur et un soulagement pour tout le monde !

— Permettez-moi de vous demander, madame, répliqua M. Dorrit, dont ce bavardage commençait à embrouiller les idées, de qui… ha !… de qui » répéta-t-il en élevant la voix avec une intonation désespérée, « vous voulez parler en ce moment.

— De l’étranger récemment arrivé d’Italie et qui a disparu dans la Cité, ainsi que vous l’avez sans doute lu dans les journaux ; et, sans nous en rapporter aux autres informations recueillies par une personne du nom de Pancks, qui nous répète toutes les méchancetés atroces que débitent dans le quartier des gens qui jugent sans doute les autres d’après eux-mêmes… Vous comprenez l’inquiétude et l’indignation d’Arthur… je ne puis pas m’en empêcher… Doyce et Clennam ! »

Heureusement pour M. Dorrit (car autrement on ne serait jamais arrivé à une solution intelligible de ce mystère), il n’avait pas entendu un mot, il n’avait pas lu une ligne à propos de l’événement en question. Cette ignorance engagea Mme  Finching (après bien des excuses de la difficulté qu’elle avait à retrouver sa poche dans les plis de sa jupe) à lui présenter enfin une affiche qui annonçait qu’un gentleman étranger, du nom de Blandois, arrivé tout récemment de Venise, avait tout à coup disparu telle nuit dans telle partie de la Cité ; qu’on savait qu’il était entré à telle heure dans telle maison ; que les habitants de ladite maison affirmaient qu’il en était sorti à minuit moins quelques minutes, mais qu’on ne l’avait jamais revu depuis. M. Dorrit lut attentivement ces détails, ainsi que le signalement de l’étranger qui avait si mystérieusement disparu.