Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/379

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trouver quelqu’un pour les faire, il a bientôt reçu un croc-en-jambe ; mais dans un pays où l’on veut faire quelque chose, et où l’on cherche un homme capable de la faire, il est sûr de retomber sur de ses pieds. Vous n’aurez plus besoin d’importuner ces aimables messieurs du ministère des Circonlocutions ; car j’ai le plaisir de vous annoncer que Daniel a réussi à se passer d’eux !

— J’ai un grand poids de moins sur la conscience ! s’écria Clennam. Si vous saviez comme cette nouvelle me rend heureux !

— Heureux ! répéta M. Meagles. Ne parlez pas de bonheur avant d’avoir vu Daniel. Je vous assure qu’il dirige là-bas des travaux à vous faire dresser les cheveux sur la tête. On ne le regarde pas comme un criminel là-bas, je vous en réponds ! Il a des médailles et des rubans et des croix et des crachats et je ne sais quoi encore, ni plus ni moins qu’un duc et pair. Mais il ne faudra pas parler de ces choses-là ici.

— Pourquoi pas ?

— Non, non, continua Meagles hochant la tête d’un air très-sérieux. Il sera obligé de serrer tout cela sous clef dans sa malle, dès qu’il reviendra ici. Nous n’en voulons pas chez nous. Sous ce rapport, la Grande-Bretagne ressemble au chien du râtelier dont parle la fable… elle ne veut pas décorer ses enfants, et ne veut pas davantage leur permettre de montrer les décorations que les autres leur donnent. Non, non ! Daniel, répéta M. Meagles en hochant de nouveau la tête, nous ne voulons pas de ça chez nous !

— Vous m’auriez apporté le double de ce que j’ai perdu, s’écria Arthur, que vous ne m’auriez pas fait autant de plaisir qu’en m’apprenant ces bonnes nouvelles.

— Je sais ça, je sais ça, dit M. Meagles. Je sais très-bien ça, mon cher ami, et c’est pour cela que j’ai commencé par là. Maintenant, pour en revenir à mon voyage à la recherche de Doyce, j’ai fini par l’attraper. Je suis tombé sur lui au milieu d’un tas de ces sales Mauricauds qui portent des bonnets de femme beaucoup trop grands pour eux, sous prétexte qu’ils appartiennent à la race arabe ou à d’autres races non moins incohérentes. Mais vous les connaissez bien, vous, après tous vos voyages. Il allait justement partir pour me rejoindre, lorsque je venais le chercher ; de sorte que nous sommes revenus ensemble.

— Doyce serait en Angleterre ? s’écria Arthur.

— Là ! fit papa Meagles étendant les bras. Je n’en fais jamais d’autres ! Je suis le plus mauvais négociateur qu’on puisse imaginer. Je ne sais pas ce que je serais devenu si on m’avait mis dans la diplomatie. J’aurais été bêtement tout droit mon chemin ! Bref, mon cher Arthur, voilà quelque chose comme quinze jours que nous sommes en Angleterre. Et si vous me demandez où Daniel Doyce se trouve en ce moment, je vous répondrai en bon anglais : Le voici ! Maintenant, laissez-moi respirer tout à mon aise. »

Doyce s’élança de derrière la porte, saisit Arthur par les deux mains et raconta le reste lui-même.