Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/380

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« Je n’ai que trois choses à vous dire, mon cher Clennam, dit-il en moulant l’une après l’autre ces trois choses dans le creux de sa main avec son pouce plastique, et ce ne sera pas long. Primo, pas un mot du passé. Il s’est glissé une erreur dans vos calculs. Je sais ce que c’est. Cela dérange le mécanisme, et il en résulte que tout va de travers. Vous profiterez de la leçon pour éviter cet inconvénient. J’ai commis bien des erreurs semblables en construisant une machine. Chaque nouvelle faute nous apprend quelque chose quand nous voulons en profiter, et vous êtes un homme trop sensé pour ne pas profiter de la vôtre. Voilà pour le primo. Passons au secundo. J’ai été fâché d’apprendre que vous prissiez la chose assez à cœur pour vous adresser de si sévères reproches ; je voyageais nuit et jour pour venir mettre ordre à tout cela, avec l’aide de votre ami que voilà, lorsque nous nous sommes rencontrés ainsi qu’il vous l’a raconté. Tertio, nous sommes tombés d’accord, lui et moi, qu’après ce que vous aviez souffert, au sortir de votre crise de découragement et de votre maladie, ce serait vous causer une agréable surprise que de nous tenir cois jusqu’à ce que les affaires eussent été tranquillement arrangées à votre insu, puis de venir vous annoncer que tout est réglé, que la maison n’a jamais eu plus besoin de vous qu’en ce moment, et qu’une nouvelle carrière s’ouvre pour vous et pour moi, en notre qualité d’associés. Une carrière heureuse, j’ose le croire. Voilà pour le troisième point. Mais vous savez que, nous autres mécaniciens, nous faisons toujours la part du frottement : aussi me suis-je réservé un peu d’espace pour me retourner. Mon cher Clennam, j’ai pleine et entière confiance en vous ; vous pouvez m’être tout aussi utile que je puis ou que j’ai jamais pu l’être pour vous. Votre ancien bureau vous attend et a grand besoin de votre présence. Il n’y a rien qui doive vous retenir ici une demi-heure de plus. »

Il y eut un moment de silence pendant lequel Arthur resta le visage tourné vers la cour, dans l’embrasure de la croisée où celle qui allait bientôt devenir sa femme venait de s’approcher de lui.

« J’ai avancé tout à l’heure un fait, reprit alors Daniel Doyce, que j’ai lieu de croire erroné. J’ai dit qu’il n’y avait rien qui dût vous retenir ici une demi-heure de plus. Ai-je tort de croire à présent, Clennam, que vous préférez ne sortir d’ici que demain matin ? Ai-je deviné, sans bien être malin, où vous voudriez aller tout droit en quittant les murs de cette prison et de cette chambre ?

— Vous avez deviné, répondit Arthur : c’est en effet notre vœu le plus cher.

— Très-bien ! dit Daniel. Dans ce cas, si mademoiselle veut me faire l’honneur de me regarder pendant vingt-quatre heures comme un père et m’accompagner du côté de l’église Saint-Paul, j’ai dans l’idée que nous avons besoin d’aller faire un tour par-là. »

La petite Dorrit et M. Doyce ne tardèrent pas à sortir ensemble, et M. Meagles resta en arrière pour dire quelques mots à son ami.