Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/51

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rit avec un brusque changement de manières, comment il s’est procuré ce renseignement… hem !… opportun.

— C’est facile à expliquer, monsieur, répliqua Édouard, et je vais vous le dire tout de suite. Pour commencer, Mme Merdle est la dame avec qui vous avez eu cette conférence dans la cour de l’hôtel à… chose…

— À Martigny, interrompit Mlle Fanny avec un air d’extrême langueur.

— À Martigny, répéta le frère, avec un petit signe de tête et un clignement d’yeux à l’adresse de Fanny, qui parut d’abord surprise puis se mit à rire et rougit.

— Comment cela se peut-il, Édouard ? demanda M. Dorrit. Vous m’avez dit que le jeune monsieur avec qui vous avez causé s’appelle… ha !… Sparkler. Vous m’avez même montré sa carte… Hem !… Sparkler.

— Certainement, père, il se nomme Sparkler ; mais ce n’est pas une raison pour que sa mère porte le même nom que lui. Mme Merdle est une veuve remariée, et Sparkler est son fils du premier lit. Elle habite en ce moment Rome, où nous cultiverons sans doute sa connaissance, si vous vous décidez à y passer l’hiver. Sparkler vient d’arriver ici. J’ai passé la soirée d’hier avec lui. Ce serait un excellent garçon en au fond, si son adoration pour une certaine demoiselle ne le rendait pas si ennuyeux (M. Édouard Dorrit lorgna Mlle Fanny en travers de la table). Hier soir nous nous sommes mis à causer de nos voyages, et c’est de lui que j’ai obtenu les renseignements dont je viens de vous faire part. »

Édouard se tut, mais il continua de lorgner Mlle Fanny le visage défiguré par une affreuse grimace, causée en partie par les efforts qu’il faisait pour ne pas laisser échapper son lorgnon, en partie par la malice extrême qu’il voulait communiquer à son sourire.

« Puisqu’il en est ainsi, dit M. Dorrit, je crois exprimer les sentiments… hem !… de Mme Général aussi bien que les miens, en disant que je ne vois aucun inconvénient, mais… ha ! hem !… tout au contraire… à ce que vous contentiez le désir que vous venez d’exprimer, Amy. J’espère que je puis… hem !… regarder ce désir (continua-t-il d’un ton d’encouragement et de pardon) comme d’un heureux augure. Il n’y a pas de mal à connaître ces gens-là. Il est même convenable de les connaître. M. Merdle jouit d’une réputation… hem !… universelle. Les entreprises de M. Merdle sont immenses. Elles lui rapportent des sommes si énormes qu’on peut considérer ce financier comme… hem !… un des bienfaiteurs du pays. M. Merdle représente le grand homme des temps moderne. Le nom de Merdle est le nom de notre siècle. Je vous prie de faire force politesses de ma part à M. et Mme Gowan, car nous… ha !… nous les cultiverons certainement. »

Cette superbe concession mit fin à la discussion. Personne ne remarqua que l’oncle Frédéric avait repoussé son assiette et oublié son déjeuner ; mais, sauf la petite Dorrit, on ne faisait guère