Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

savez que votre oncle, malgré toutes ces bonnes qualités, n’est qu’une… hem !… qu’une ruine. Je vous supplie donc au nom de l’attachement que j’ai pour lui, au nom de la fidélité dont, vous le savez, j’ai toujours fait preuve envers lui, de… hem !… de retirer votre amendement et de ne pas froisser mes sentiments fraternels. »

Ainsi se termina cette scène. Édouard Dorrit, qui n’avait pas prononcé un mot, conserva jusqu’à la fin un air perplexe et embarrassé. Mlle  Fanny éveilla, ce jour-là, chez sa sœur une foule d’inquiétudes affectueuses, car elle passa son temps tour à tour à l’embrasser avec effusion, à lui donner ses broches et ses bijoux, à s’écrier qu’elle voudrait être morte.




CHAPITRE VI.

Il y a quelque chose quelque part qui va bien.


Être arrêté dans l’impasse où se trouvait acculé M. Henry Gowan ; avoir déserté un camp par dépit, puis manquer des qualités nécessaires pour monter en grade dans l’autre, et flâner en désœuvré sur un terrain neutre, à les maudire tous les deux, c’est là une situation morale fort malsaine, à laquelle le temps n’apporte aucun remède. Le pire de tous les calculs auxquels on se livre dans ce monde est celui de ces mathématiciens maladifs, qui ne connaissent que la soustraction lorsqu’il s’agit de donner le total des mérites et des succès d’autrui, sans que cela ajoute rien au total de leur propre addition en fait de mérite et de succès.

D’ailleurs, l’habitude de chercher une sorte de consolation à se plaindre ou à se vanter d’être désappointé, est une habitude démoralisante ; elle ne tarde pas à produire une insouciance oisive, une complète indifférence pour tout ce qu’exige un travail constant. Déprécier un chef-d’œuvre pour faire l’éloge d’une œuvre médiocre, devient un des grands bonheurs de ces caractères aigris, et on ne peut se jouer et ainsi de la vérité sans en souffrir dans l’honnêteté de ses sentiments.

Lorsqu’il avait à donner son opinion sur des tableaux ou des dessins sans valeur aucune, personne ne se montrait plus généreux, plus indulgents que Gowan. Il déclarait que tel artiste avait plus de talent dans son petit doigt (pourvu qu’il n’eût pas de talent du tout) que tel autre n’en avait dans tout son corps et dans toute sa tête (pourvu que cet autre homme fût un génie). Si on lui objectait que l’œuvre qu’il tenait n’était qu’une croûte, il répondait au nom de son art :

« Mon cher, montrez-moi le peintre qui produit autre chose que