Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/82

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— Oui, c’est là ce que les nobles gentlemen du ministère ont décidé au bout de douze ans d’examen.

— Voilà des individus bien capables de juger votre invention, ma foi ! dit Clennam avec amertume.

— C’est toujours la vieille histoire, remarqua Doyce. J’aurais tort de vouloir me poser en martyr, lorsque j’ai tant de camarades.

— L’abandonner ou tout recommencer ! répéta Clennam d’un ton rêveur.

— Tel est le résumé de la décision de ses messieurs.

— Eh bien ? mon ami, s’écria Clennam se levant et saisissant la main rude du mécanicien, nous recommencerons. »

Doyce parut effrayé et répliqua (très-vivement pour un homme aussi calme que lui) :

« Non, non. Il vaut mieux laisser cela de côté, beaucoup mieux. On en parlera un jour, un peu plus tôt, un peu plus tard. Moi, j’y renonce. Vous oubliez, mon cher Clennam, que j’y ai renoncé ; c’est une affaire finie.

— Oui, Doyce, c’est une affaire finie pour vous ; et je reconnais que vous ne devez pas vous exposer à de nouvelles rebuffades. Mais moi, je n’ai encore rien fait. Je suis plus jeune que vous ; je n’ai mis qu’une seule fois les pieds dans ce précieux ministère des Circonlocutions, et j’ai le courage de l’inexpérience. Allons ! je suis décidé à livrer l’assaut. Vous continuerez à faire exactement ce que vous avez fait depuis que nous sommes associés. Je puis très-aisément, sans renoncer en rien à mes occupations habituelles, faire des démarches, afin qu’on vous rende justice ; et, à moins que je n’aie quelque succès à vous annoncer, je ne vous reparlerai plus de mes tentatives. »

Daniel Doyce n’y consentit pas tout de suite, et répéta à plusieurs reprises qu’il valait mieux renoncer à l’affaire. Mais comme il était naturel qu’il se laissât persuader par Clennam, il finit par céder. Arthur entreprit donc la tâche longue et ingrate d’obtenir quelque chose du ministère des Circonlocutions.

Bientôt on ne vit plus que lui dans les antichambres de ce ministère, où les garçons de bureau le recevaient presque toujours comme un filou dans le greffe d’un commissaire de police ; la principale différence qu’il y avait entre ce magistrat et les employés du ministère, c’est que l’un tenait à garder le filou, tandis que les autres faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour se débarrasser de Clennam. Mais cela lui était égal ; il était résolu à ne pas lâcher prise. Il y eut donc un véritable déluge d’imprimés à remplir, de lettres, de minutes, de notes, de signatures, de contre-signatures, de contre-contre-signatures, de renvois en avant et en arrière, à droite et à gauche, en diagonale et en zigzag.

Ici se présente un trait caractéristique du ministère des Circonlocutions que nous n’avons pas encore enregistré. Lorsque cette admirable institution s’attirait des désagréments et se voyait atta-