Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/87

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Meagles, ne parlez pas des dettes qu’ils ont pu faire comme d’une découverte, parce que ce serait par trop fort.

— Trop fort, madame, dit M. Meagles, comme s’il demandait une explication.

— Là, là ! s’écria Mme  Gowan, remettant papa Meagles à sa place par un geste expressif de sa main. Certainement, ce serait trop fort pour la mère de mon pauvre garçon : elle n’aurait pas la force de supporter cela. Ils sont mariés et nous ne pouvons pas faire qu’ils ne le soient pas. Là, là ! Je sais cela. Vous n’avez pas besoin de me le dire, papa Meagles. Je le sais parfaitement bien… Que disais-je donc tout à l’heure ? Que c’est une grande consolation qu’ils continuent à vivre heureux ensemble. Il faut espérer que cela durera. Il faut espérer que la jolie enfant fera tout ce qu’elle peut pour rendre mon pauvre garçon heureux et satisfait. Papa et maman Meagles, n’en parlons plus. Nous n’avons jamais envisagé cette question du même point de vue, et nous ne changerons pas. Là, là ! C’est fini, je ne dirai plus rien. »

Il est certain que Mme  Gowan, maintenant qu’elle avait dit tout ce qu’elle avait à dire pour conserver sa position mythologique au milieu des nuages, et pour avertir M. Meagles qu’il ne devait pas se figurer qu’on le laisserait jouir en paix des honneurs d’une pareille alliance, était toute disposée à ne pas abuser de sa victoire en poussant les choses trop loin. Si M. Meagles avait voulu écouter le coup d’œil de sa femme ou le geste expressif de Clennam, il aurait permis à la dame de s’éloigner dans toute la joie du triomphe. Mais Chérie était les délices et l’orgueil de son cœur ; s’il avait jamais pu la défendre avec plus de dévouement ou l’aimer avec plus de tendresse qu’aux jours où elle était le soleil de sa maison, c’eût été maintenant, maintenant qu’elle n’en faisait plus le charme et la grâce, maintenant qu’elle était perdue pour eux.

« Madame Gowan, dit M. Meagles, j’ai toujours été un homme tout rond. Je voudrais essayer de me livrer à des mystifications élégantes, soit pour me tromper moi-même, soit pour tromper les autres, soit pour me tromper moi-même en trompant les autres, que très-probablement, je n’y réussirais pas.

— Papa Meagles, répondit Mme  Gowan avec un sourire affable, tandis que l’incarnat de sa joue paraissait plus vif que de coutume, à mesure que le reste de son visage devenait plus pâle, c’est très-probable.

— Par conséquent, ma bonne dame, continua M. Meagles, qui avait beaucoup de peine à se contenir, j’espère que je puis, sans blesser personne, prier les autres de vouloir bien m’épargner des mystifications de ce genre.

— Maman Meagles, remarqua Mme  Gowan, votre brave homme est incompréhensible ce soir. »

En s’adressant à cette digne lady, Mme  Gowan comptait lui faire prendre part à la discussion, afin de lui chercher noise et de rem-