Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/88

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porter sur elle une victoire facile. Mais M. Meagle intervint pour déconcerter cette ruse de guerre.

« Mère, dit-il, vous n’êtes pas de force, ma chère ; les armes ne sont pas égales. Je vous prie donc de me laisser répondre. Voyons, madame Gowan, voyons ! tâchons d’avoir du bon sens, et d’avoir avec cela un peu de bon cœur et de loyauté. Ne plaignez pas Henry votre fils, ma chère dame ; ce ne serait pas raisonnable ni juste. Ne disons pas que nous espérons que Minnie rendra votre fils heureux, ni même que nous espérons que votre fils fera le bonheur de Minnie (M. Meagles n’avait pas lui-même l’air très-heureux en prononçant ces paroles), mais disons que nous espérons qu’ils se rendront heureux mutuellement.

— C’est évident et restons-en là, père, dit la bonne et conciliante Mme Meagles.

— Mais, non, mère, répliqua M. Meagles, pas encore : tout à l’heure. Je ne puis en rester là ; j’ai encore quelques mots à dire. Madame Gowan, j’espère que vous ne me trouvez pas trop excité. Je crois que je n’en ai pas l’air.

— Bien au contraire, répondit Mme Gowan, secouant à la fois sa tête et son éventail vert, afin de donner plus d’énergie à cette dénégation.

— Merci, madame. Très-bien. Néanmoins, je me sens un peu… je ne voudrais pas me servir d’une expression trop forte… dirai-je un peu blessé ? demanda M. Meagles d’un ton conciliateur, plein de franchise et de modération.

— Vous n’avez qu’à dire comme vous voudrez. Cela m’est parfaitement indifférent.

— Non, non, ne répondez pas ainsi, ce ne serait pas aimable. Je me sens un peu blessé lorsque j’entends dire que l’on a dû prévoir ce qui arrive, qu’il est trop tard maintenant, et le reste.

Vraiment, papa Meagles ? Eh bien, cela ne m’étonne pas du tout.

— Tant pis, madame, riposta M. Meagles. J’espérais au moins que cela vous aurait étonnée, et que vous n’auriez pas cru généreux de venir, de gaieté de cœur, me blesser dans un endroit aussi sensible.

— Je ne suis nullement responsable, vous savez, des reproches que peut vous adresser votre conscience. »

Le pauvre M. Meagles demeura immobile de surprise.

« Si par malheur vous vous reconnaissiez dans mes paroles, poursuivit Mme Gowan, à qui la faute ? Si vous sentez où le bât vous blesse, ce n’est pas à moi qu’il faut en vouloir, papa Meagles.

— Mais, morbleu, madame ! s’écria M. Meagles, cela revient à dire…

— Allons, papa Meagles, papa Meagles, interrompit Mme Gowan,