Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/89

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qui s’exprimait avec un sang-froid et une amabilité extrêmes dès que son interlocuteur s’échauffait le moins du monde ; peut-être, afin d’éviter les méprises, ferai-je mieux de parler moi-même en mon nom que de vous laisser prendre la peine de parler pour moi. Cela revient à dire, avez-vous commencé… Avec votre permission, j’achèverai la phrase. Cela revient à dire (non que je tienne à appuyer là-dessus, ni même à vous le rappeler, car cela ne servirait à rien ; mon unique désir est au contraire d’en sortir le moins mal possible)… que depuis le commencement je me suis opposée à ce mariage de votre invention, et que je n’y ai consenti qu’à contre-cœur et au dernier moment.

— Mère ! s’écria M. Meagles. Entendez-vous cela ? Arthur, entendez-vous ce que dit madame ?

— Comme la salle est d’une dimension commode, dit Mme  Gowan, en regardant autour d’elle sans cesser de s’éventer et à tous égards on ne peut mieux disposée pour les charmes de la conversation, je me figure que tout le monde a dû m’entendre. »

Il s’écoula quelques minutes avant que M. Meagles pût se cramponner à sa chaise avec assez de fermeté pour s’empêcher de faire un bond au premier mot qu’il dirait en réponse.

« Madame, dit-il enfin, je regrette que vous m’y obligiez, mais vous me permettrez de vous rappeler la conduite et le langage que j’ai tenu depuis le commencement.

— Oh ! mon cher monsieur, répliqua Mme  Gowan, souriant et hochant la tête avec un air d’intelligence accusatrice, je les ai parfaitement compris, je vous assure.

— Avant cette époque, madame, continua M. Meagles, je n’avais jamais su ce que c’était que le chagrin. Oh ! non ; je n’avais jamais connu l’inquiétude et la peine, et ç’a été pour moi une épreuve si douloureuse que… »

Que M. Meagles, en un mot, ne put en dire davantage à ce sujet et se cacha le visage dans son foulard.

« J’ai parfaitement compris toute l’affaire, reprit Mme  Gowan regardant tranquillement par-dessus son éventail. Puisque vous en avez appelé à M. Clennam vous me permettrez d’en appeler à lui à mon tour. Il sait si j’ai été prise ou non pour dupe.

— Il me répugne, répondit Clennam, vers qui tous les regards venaient de se diriger, de prendre part à cette discussion attendu que je désire demeurer en bonne intelligence avec M. Henri Gowan. J’ai des motifs très-sérieux pour le désirer. Mme  Gowan, il est vrai, dans une conversation que j’ai eue avec elle avant le mariage, a attribué à mon ami, M. Meagles, le dessein de conclure cette union ; et j’ai essayé de la détromper. Je lui ai dit que je savais (et c’était vrai : je le sais mieux que jamais) que M. Meagles s’y est fermement opposé en paroles et en action jusqu’au dernier moment.

— Là ! dit Mme  Gowan, tournant vers M. Meagles la paume de ses deux mains étendues, comme si elle représentait la justice en