Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/90

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personne, et conseillait au coupable d’avouer son crime, puisqu’il y avait contre lui des preuves écrasantes. Vous voyez ! Très-bien ! Maintenant, papa et maman Meagles (ici Mme  Gowan se leva), je prendrai la liberté de mettre un terme à cette formidable controverse. Je ne dirai plus un mot de la justice de ma cause. J’ajouterai seulement que c’était là une nouvelle preuve de ce que l’expérience a déjà démontré mille fois ; ces choses-là ne tournent jamais bien… ou, comme dirait mon pauvre garçon, on en est pour ses frais… bref, cela ne réussit jamais…

— Quel genre de choses ? demanda M. Meagles.

— C’est en vain que des personnes qui ont des antécédents si dissemblables chercheraient à s’apparier ensemble ; lorsqu’un étrange hasard matrimonial vient d’aventure les bousculer ensemble, plutôt que les atteler les unes avec les autres, il est impossible qu’elles voient du même point de vue l’accident qui les a rapprochées violemment. Cela ne réussit jamais.

— Permettez-moi de vous faire observer, madame… commença M. Meagles.

— Non, non ! l’interrompit Mme  Gowan. À quoi bon ? N’est-ce pas un fait avéré ? Cela ne réussit jamais. Donc, s’il vous plaît, je suivrai mon chemin et vous le vôtre. Cela ne m’empêchera pas de recevoir toujours avec plaisir la jolie femme de mon pauvre garçon, et je m’efforcerai de vivre avec elle dans les termes les plus affectueux. Mais, quant à ces relations où l’on ne sait si l’on est avec des parents ou des étrangers, il n’y a rien de plus agaçant ni de plus assommant, si bien que cela finit par un état de choses trop grotesque pour pouvoir durer. Je vous assure que cela ne réussit jamais. »

Mme  Gowan adressa un salut souriant au salon plutôt qu’à ceux qui s’y trouvaient, et fit ses adieux à papa et à maman Meagles. Clennam se leva pour la reconduire jusqu’à la boîte à pilules qui servait alternativement de bonbonnière à toutes les pilules de Hampton-Court. La pensionnaire de l’État monta dans ce véhicule avec une sérénité distinguée et roula.

À partir de ce jour, cette dame se plut à raconter à ses amis d’un ton de badinage enjoué, comment, après bien des efforts, elle avait découvert qu’il n’y avait pas moyen de connaître les parents de la femme d’Henry, ces gens qui avaient tant intrigué pour attirer son pauvre garçon. Avait-elle réfléchi d’avance qu’en se débarrassant d’eux, elle donnerait meilleur air à son mensonge favori, s’épargnerait quelques visites ennuyeuses, et ne courrait aucun risque, puisque la jolie enfant était bel et bien mariée, et que son père l’aimait à la folie ? Mme  Gowan, la mère, pourrait seule répondre à cette question. Néanmoins l’auteur de la présente histoire a aussi son opinion à cet égard, et il est décidément pour l’affirmative.